Aujourd’hui, j’ai décidé de quitter la France
Monsieur Jacques Chirac, Président de la République française,
Monsieur Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre,
Monsieur Nicolas Sarkosy, Ministre de l’Intérieur,
Messieurs,
Il n’y a pas si longtemps, j’aimais encore la France.
J’aimais la France parce qu’elle a accueilli mes parents venus d’Afrique du Nord.
J’aimais la France parce qu’elle avait su reconnaître sa responsabilité dans les déportations et que je me disais que plus rien ne pourrait arriver aux juifs dans ce pays.
J’aimais la France pour sa culture, pour Paris et ses petites rues, pour ses fromages, pour ses vins et bien d’autres choses encore.
Jamais, je n’aurais pensé quitter la France parce que j’aimais toutes ces choses mais aussi parce que je voulais rester avec ma famille, mes amis et ne pas être déraciné comme mes parents l’ont été.
Mais à présent, messieurs, je ne me sens plus à ma place parce que quand je discute à la fac, je n’ose plus aborder certains sujets de peur de devoir exprimer mes opinions. Mes coreligionnaires sont insultés ou frappés pour moins que ça dans les collèges, les lycées et les manifestations pacifiques. Ils le sont tout simplement parce qu’ils sont juifs et donc pris pour cible car, pour leurs agresseurs, ils représentent la politique de Sharon ou celle de Bush. Quand bien même ils étaient en faveur de ces politiques, il ne serait pour autant pas acceptable qu’ils soient frappés ou insultés.
Où est la liberté ?
A présent, messieurs, je ne me sens plus à ma place dans ce pays parce qu’il me semble que lorsque des jugements sont prononcés dans des affaires où les juifs sont victimes de manières directe (synagogues brûlées, agressions) ou indirecte (Boycott des produits israéliens), le jugement semble, le plus souvent et de manière inexplicable, en notre défaveur même dans les cas où la loi est avec nous.
Où est l’égalité ?
A présent, messieurs, je ne me sens plus à ma place dans ce pays que vous gouvernez à la fois parce que je sens que mes problèmes ne sont pas entendus comme ils le devraient mais aussi parce que mes concitoyens sont indifférents à ces mêmes problèmes (les actes antisémites représentent 62% des violences xénophobes en 2002 et seulement 5% des français pensent que les juifs sont les plus touchés par ces violences).
Où est la fraternité ?
Que voulez-vous faire ? Nous exclure de la République en nous retirant le droit de jouir de ses valeurs. Vous avez réussi avec l’un d’entre nous car maintenant, je ne suis plus à ma place en France. Je ne suis pas le premier et je ne serai pas le dernier dans ce cas si les insultes, agressions et tabassages continuent et sûrement bien pire si vous ne réagissez pas au plus vite.
En faisant décroître le nombre de juifs dans vos lignes de statistiques (car ils partent de plus en plus nombreux chaque année), vous faites disparaître votre République.
Maintenant, je ne veux plus me poser les mêmes questions chaque jour : Ai-je un avenir en France ? Est-ce que je peux continuer à porter mon étoile de David sans avoir peur d’être agressé ? Est-ce que ma sœur va être traitée de « sale juive » aujourd’hui au collège ? Suis-je encore fier d’être français ?
Ces questions, que j’en ai marre de me poser et qui font qu’aujourd’hui j’ai décidé de quitter la France le plus tôt possible, je ne me les pose pas parce que je suis juif français mais parce que je suis français mais juif, ce qui fait toute la différence.
Je vous prie d’agréer, messieurs, l’expression de mes sentiments déçus mais malgré tout distingués.
Raphaël Chemla, 20 ans, étudiant.