Les mésaventures d'un Américain juif dans la "ville accueillante" de Bruges
LE MONDE | 08.02.08 | 15h05 •
Marcel Kalmann, un Américain de 64 ans, affirme ne pas avoir été servi dans un café-restaurant de la ville flamande de Bruges parce qu'il portait une kippa. "On ne sert pas les juifs ici. Dehors !", lui aurait lancé le serveur de ce célèbre établissement, situé sur la place centrale de la cité. Le touriste, professeur aux Etats-Unis, a alors quitté les lieux et s'est rendu dans un commerce voisin, d'où il a tenté d'appeler la police tandis que le personnel lui présentait des excuses. Un opérateur lui a indiqué que les patrouilles ne se déplaçaient pas pour une affaire de ce genre et l'a invité à se rendre au commissariat.
Là, selon la version de M. Kalmann, un premier policier lui sous-entend que son histoire est invraisemblable. Un deuxième, sans doute un officier, lui indique, en élevant le ton, que sa plainte doit obligatoirement être enregistrée en néerlandais et que la législation belge ne retient pas le délit d'antisémitisme. Le plaignant repartira avec un simple compte rendu d'audition, sans valeur.
M. Kalmann a contacté depuis le magazine juif Joods Actueel, édité à Anvers. Il a raconté son histoire et indiqué qu'il envisageait de déposer plainte tant contre le patron du café-restaurant que contre les policiers. Il entend aussi saisir le comité "P", qui contrôle les services de police belges.
"COMPORTEMENTS INADÉQUATS"
L'exploitant du café ne conteste pas que le professeur ait été expulsé. Il se dit prêt à lui présenter des excuses "s'il le désire" mais soutient que ce client aurait eu "un comportement étrange". Les voisins de l'établissement préfèrent, semble-t-il, résumer à l'affaire à une querelle sur les tarifs pratiqués : les serveurs jongleraient allégrement avec les prix en fonction du profil des clients.
Les services touristiques de la ville ont ouvert une enquête sur une affaire qui, selon leur directeur, Jean-Pierre Drubbel, serait la première du genre. Le bourgmestre (maire) chrétien-démocrate, Patrick Moenaert, a réclamé une information circonstanciée à la police et exigé "toute la clarté". Il a présenté ses excuses au citoyen américain, dans la mesure où il aurait été victime de "comportements inadéquats" ne cadrant pas avec l'image de "ville accueillante" qu'entend offrir Bruges.
Le bourgmestre rappelle qu'en avril 2007, après la violente agression dont avait été victime un Français noir dans un café de la ville, il avait soutenu l'organisation d'un concert de solidarité et fermé l'établissement.
La communauté juive de Flandre a réagi avec d'autant plus d'émotion que Marcel Kalmann a une histoire très particulière. Né à Auschwitz trois jours avant la libération du camp, caché par des compagnons de captivité de sa mère, il est resté comme le plus jeune détenu libéré du camp de la mort.
Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 09.02.08.