Mémoire éternelle sur le net
21 janvier 2005
AFP
Pour lutter contre l'oubli et la dégradation qui touchent les cimetières juifs d'Europe centrale depuis l'Holocauste, un Tchèque a entrepris de recenser sur le net les dizaines de milliers de morts enterrés dans son pays.
Depuis 1999, Jaroslav Achab Haidler, directeur d'une troupe de théâtre professionnelle, 46 ans, passe une grande partie de son temps libre avec un appareil photo et un
dictaphone dans des cimetières, souvent envahis par les ronces et les broussailles, à l'écart des villes et villages. Les pierres sont usées par l'érosion, il faut parfois attendre la nuit pour pouvoir lire les lettres à la lampe de poche, c'est une technique que j'ai découverte par hasard, raconte-t-il. Les plus vieilles pierres datent du 16e siècle et sont presque illisibles. On me dit parfois: Tu cherches l'or des juifs, hein? Oui, je cherche l'or, celui des paroles inscrites sur les pierres, dit-il avec bonheur.
Kippa sur la tête, Haidler est lui-même juif. Il ne l'a appris qu'à 26 ans lorsque sa mère s'est décidée à lui révéler ses origines, après l'avoir vu jouer le rôle d'un juif sur
scène. Par une ironie du destin, il avait alors déjà commencé à apprendre l'hébreu en autodidacte, afin de pouvoir lire la Bible dans le texte. J'ai toujours eu soif de savoir, dit-il. Mais dans la Tchécoslovaquie communiste, il n'était pas aisé d'apprendre cette langue. L'université lui était interdite car son père journaliste avait été catalogué comme opposant au régime après l'invasion du pays par les troupes soviétiques en 1968.
Il ne restait plus que les cimetières, dit-il. Là, les inscriptions en hébreu abondent sur les pierres arrondies plantées verticalement: ce sont les plus souvent des écrits
poétiques sur le passage de la vie et parfois des notations gentiment ironiques sur le défunt.
Vers la fin des années 90, il s'est enquis de savoir s'il existait un registre central des cimetières juifs. Quand j'ai su qu'il n'y avait rien, j'étais heureux car j'avais trouvé
ma vocation, explique Jaroslav Haidler, qui a ajouté le nom hébreu d'Achab à son patronyme.
Son projet n'a guère d'équivalent. JewishGen aux Etats-Unis a pour ambition de mettre sur internet toutes les tombes juives existantes dans le monde mais
l'organisation se contente pour le moment de fédérer des initiatives locales. En cinq ans de travail, Haidler a repertorié et photographié près de 14.000 pierres tombales dans 30 cimetières différents. Il a tout rentré dans une base de données, qu'il a conçue.
Mais il n'a encore effectué que moins du dizième nécessaire. Il estime qu'il y a environ 150.000 pierres tombales dans les 324 cimetières tchèques encore subsistants. Malgré l'ampleur du travail, Haidler est optimiste. Chaque année, cela va un peu mieux, dit-il. Il a réussi à intéresser à son projet une poignée de gens, qui travaillent
selon ses méthodes.
En 2003, il a convaincu la petite communauté juive tchèque (3.500 personnes contre 118.000 avant la guerre) de lui accorder un soutien financier, afin de maintenir et
développer le site internet (www.chewra.com) où à terme l'ensemble de sa base de données sera accessible. Il reçoit désormais 100 couronnes, soit environ 3 euros, pour chaque tombe. Il a calculé qu'il lui faut en moyenne une heure et demie pour répertorier chaque pierre
tombale.
Pour cela, il la photographie et dicte les inscriptions dans son magnétophone. Parfois, il entre les données dans son ordinateur portable directement sur place. Mais souvent, il fait ce travail dans son petit appartement d'Usti nad Labem
(nord-ouest), lorsqu'il fait trop mauvais ou trop froid. La saison pour le travail de terrain, c'est le printemps et l'été, dit-il. C'est un mode de vie, il faut que j'aie la
patience.
(D'après AFP)