Dans un article affiché sur le site www.metransparent.com, l'écrivain et chercheur «libéral» tunisien Lafif Lakhdar relate être interdit d'antenne sur la chaine télévisée Al-Jazira et se voir systématiquement refuser ses articles par les journaux Al-Hayat et Al-Qods Al-Arabi , en raison de ses opinions. Voici son article, rédigé en français et intitulé «Imposer silence à l'expression d'une opinion revient à voler l'humanité»
Lafif LAKHDAR
Ecrivain et Chercheur Tunisien vivant en France
J’emprunte ce titre à John Stuart Mill pour dénoncer la censure des médias arabes « indépendants ». Les censeurs sont les islamistes gardiens de du temple des sujets tabous qui s’étendent à tous les domaines allant du politique à l’artistique. Sait-on, par exemple, que la musique et la chanson n’ont pas droit de cité à la télévision d’AL-JAZIRA ?
Celui qui dit le non-dit le paie très cher. C’est pourquoi je suis interdit d’antenne dans l’émission d’AL-JAZIRA intitulée « La direction opposée » pour m’être opposé aux négationistes français et arabes dans une émission sur la SHOAH.
Je suis également interdit de plume dans le quotidien « AL-QUDS AL-ARABI » pour avoir dit que les attentats suicides contre les civils israéliens sont moralement odieux et politiquement désastreux. Enfin, je viens d’être interdit d’expression dans le quotidien AL-HAYAT dont le propriétaire est le prince Khaled Ben Soltane, vice ministre de la Défense du Gouvernement Saoudien. Le prétexte est aussi ubuesque que la décision. Jugez-en.
L’émission « Plus d’une opinion » d’AL-JAZIRA m’a invité pour débattre de mon article consacré à la nécessaire « conciliation de la francophonie et de l’arabophonie » paru dans AL-HAYAT quelques jours auparavant. Les princes Saoudiens se sont sentis visés par mes critiques à l’encontre de l’application de la Chariâa. De fait, j’ai commis l’imprudence d’opposer les droits de l’homme aux peines corporelles islamiques, la philosophie des lumières au conformisme théologique, de comparer les musulmans de la France laïque qui disposent de leurs mosquées aux Sunnites de la capitale de l’Iran islamiste qui en sont privés et d’appeler l’attention des organismes humanitaires sur le sort de la femme, du non - musulman et des minorités en terre d’Islam.
Les vraies raisons de la décision Saoudienne à mon égard sont à chercher dans le fait que mes détracteurs islamistes ont mal supporté qu’un large débat se fut engagé dans les médias sur mon projet culturel. Fixés qu’ils sont dans l’obsession totalitaire, les islamistes abhorrent la diffusion d’idées contraires à leurs certitudes aveugles. Voilà pourquoi ils ont voulu mon élimination de la scène médiatique, la complicité des princes Wahabites aidant. En fait de discrédit du « Martyr Palestinien et de l’Islam » dont ils m’accusent, il s’agit tout simplement de dire qu’après le 11 Septembre, on ne pouvait plus continuer à s’attaquer aux civils israéliens, à enseigner, à penser, à « fatwatiser », à gouverner comme si rien ne s’était passé et que le Monde arabo – musulman devait être modernisé dans sa raison d’être et dans son mode de faire. A cette fin, j’ai proposé un ensemble de réformes des plus urgentes. Désamorcer la bombe démographique, émanciper la femme, déconfessionnaliser l’Etat, moderniser l’enseignement religieux, punir la « fatwa » terroriste et réformer l’Islam.
La démographie galopante annihile tout effort de développement. 50% de Maghrébins ont moins de 20 ans et 40% des Egyptiens ont moins de 15 ans. Les islamistes qui assimilent le planning familial à l’homicide volontaire représentent l’obstacle majeur à cette réforme. Il y a urgence à émanciper la femme de sa condition d’éternelle mineure, elle est même interdite de volant au royaume Wahabite. Le statut personnel tunisien doit constituer un modèle à adopter en terre d’Islam. De même, l’expérience de la IIIème république en France qui a fait de l’école obligatoire, gratuite et laïque la pierre angulaire de son projet de société citoyenne, peut servir d’exemple aux sociétés arabes pour en finir avec l’Etat confessionnel qui interdit toute cohésion nationale en refusant aux minorités et aux non - musulmans le statut de citoyen. La modernisation de l’enseignement religieux est une nécessité. Il suffit de lire Ben Laden dans le texte pour s’apercevoir qu’il ne dit et ne fait contre « les juifs et les croisés » que ce qu’il avait appris dans l’école Wahabite. Quand la Tunisie a entrepris en 1990 la modernisation de l’enseignement religieux, ses islamistes ont crié au « tarissement de nos sources » religieuses. De fait, supprimer la théologie scolastique djihadiste et misogyne, revient à empêcher la prétention islamiste d’universaliser sa vérité particulière. Pour y parvenir, on doit introduire dans les études religieuses l’histoire des religions comparée, la sociologie religieuse, la psychologie, la philosophie, la linguistique, les droits de l’Homme, comme c’est déjà le cas dans l’Université théologique Azzitouna de Tunis. Ces disciplines sont susceptibles de sortir l’étudiant du degré zéro de la réflexion vers la pensée critique et de vaincre la peur culturellement ancrée devant le seul mot de « raison ». J’ai souri quand j’ai appris que les Américains ont exigé des Pakistanais d’introduire l’anglais et l’informatique dans les écoles religieuses. C’est la meilleure recette pour produire des terroristes qualifiés, les kamikazes du 11 Septembre, n’étaient-ils pas des anglophones et des informaticiens, mais incultes dans les sciences humaines interdites par des fatwas sans cesse renouvelées.
Dans « Fatwa contre l’Occident », Roland Jacquard a pensé à ce qu’il y a d’impensable dans le propre de l’islamisme : la fatwa qui constitue la matrice du terrorisme islamiste au nom d’Allah. Sa fonction est de rendre la vie humaine méprisable, de décharger l’islamiste de toute culpabilité salutaire, de galvaniser son instinct de mort et son désir de martyre. Elle lui sert aussi de « passeport pour le paradis ». Tous les attentats y compris ceux du 11/9 ont été commis sur fatwa. Même la simple décision pour un islamiste d’émigrer en Occident requiert ce décret religieux. Après le 11Septembre, j’ai sans cesse alerté les dirigeants arabes, notamment Saoudiens, sur les risques de cette pratique fondatrice du terrorisme dont le royaume wahabite est devenu l’épicentre, comme le dit le correspondant à Riyad du quotidien Saoudien Al-Sharq Al-Awsat. J’en ai donné plusieurs exemples dont deux des plus odieux : la fatwa du Cheikh Saoudien Ali Ben Al-Khodheir, qui, au lendemain du 11/9, a recommandé à tout musulman de « tuer tout américain, y compris le vieillard, le paralytique, l’aveugle,… » et celle du Cheikh tunisien Rached Al-Ghanouchi qui se donne pour prétexte « le meurtre de l’un des leaders juifs de Médine, sur ordre du prophète et l’assassinat de Sadate »grâce à une fatwa ad hoc pour s’autoriser à rendre « obligatoire pour tout membre de la Communauté d’assassiner » tout dirigeant musulman qui faillit dans l’application de la chariâa (1*). Ou signe la paix avec Israël.
C’est le retard de la réforme de l’enseignement religieux et de l’islam qui donne ces monstres de cruauté. Pourtant la tâche d’une réforme islamique à entreprendre est facilitée par celle amorcée aux XIXème et au début du XXème siècle. De grands théologiens ont proposé l’abolition de la polygamie, de la lapidation de la femme adultère, de la décapitation du libre penseur pour apostasie, de l’inégalité en héritage entre les deux sexes et du statut pour le non musulman, de « dhemmi » qui ne pouvait accéder à la citoyenneté. Faut-il rappeler que ces grands auteurs ont aussi déclaré obsolètes les fameux « Versets du Glaive »(Sourate IX) qui chargent les musulmans de l’obligation de combattre les polythéistes, les juifs, les chrétiens dont les BenLaden font leur miel. Ces versets contraires aux règles de la vie internationale moderne ont été considérés comme des polémiques contre les seuls infidèles contemporains de Mahomet. Le Coran est ainsi, en partie « démilitarisé » et n’est plus placé au-dessus des lois de l’évolution historique.
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(1*)in « Les libertés publiques dans l’état islamique »p.184.
Cette lecture historique du Coran reprise par Mohamed Arkoun et moi-même, fait tomber le masque religieux de l’islamisme tenant du « Djihad jusqu’à la fin des temps » contre l’Occident. La tragédie du 11/9 a conféré une évidente actualité à cette lecture novatrice du texte fondateur de l’Islam que les islamistes ont effacée de la mémoire collective des musulmans et remplacée par le bon vieux principe d’autorité qui considère qu’aucun verset n’est susceptible d’être soumis à la critique historique et ne saurait être ni abrogé ni interprété dans un sens littéral, interdisant ainsi aux musulmans de porter un regard neuf sur l’évolution de la compréhension de leur religion.
Les musulmans sont désormais placés devant ce dilemme : ou bien se fixer à un islam squelettique, messianique, misogyne, totalitaire et nihiliste, de guerre civile à l’intérieur et de guerre sainte à l’extérieur, ou bien opter pour un islam adapté, soluble dans la modernité : sensible aux valeurs universelles et qui accepte la séparation du croyant d’avec le citoyen. Son salut est à ce prix