Aux Etats-Unis, dans les années 50, le sud du Bronx réunissait une
multitude de communautés d'immigrants, la plus proéminente d'entre elles
étant la communauté juive. On y trouvait des synagogues, des mikvés,
des boulangeries, pâtisseries et boucheries cachères, et tout ce qu'une
communauté juive orthodoxe pouvait offrir. Beaucoup de jeunes couples
s'y étaient installés après-guerre, et le baby-boom passait aussi par là .
Si bien que cette partie du Bronx avait également sa boutique pour
bébés. C'était la boutique Sickser's située à l'angle de Westchester et
de Fox, offrant tout le nécessaire aux jeunes parents, tels les
poussettes, berceaux, jouets, tables à langer, etc. Mr Sickser et son
gendre, Lou Kirshner, géraient tout cela du mieux qu'ils le pouvaient,
répondant alors à une demande sans cesse croissante, au fil des
nombreuses naissances dans la ville.
Dans cette boutique, on parlait d'abord le Yiddish, mais beaucoup de
clients des autres quartiers noirs, italiens, jamaïcains ou hispaniques
venaient aussi y faire leur achats, sûrs d'y trouver leur bonheur. Lors
d'une sérieuse période de pointe, Mr Sickser et son gendre réalisèrent
qu'ils seraient rapidement débordés. S'il fallait satisfaire leur
clientèle, il leur faudrait embaucher une personne pour les aider. Mr
Sickser sortit donc du magasin, et interpella le premier jeune homme qui
passait par là.
-Jeune homme ! fit-il. Voulez-vous vous faire un peu d'argent ? Il nous
faut de l'aide, ici. Pouvez-vous nous aider ?"
Avec un large sourire, le jeune noir répondit:
-Oui Monsieur, il me faut du travail."
-Bon ! Alors on commence tout-de-suite ! "
Puis ils rentrèrent dans la boutique et se mirent immédiatement au
travail. Mr Sickser fut vite impressionné par l'efficacité et les bonnes
manières de son jeune employé. Il se révéla ponctuel, concentré sur son
travail, honnête, et toujours prêt à apprendre. Plus tard, Mr Sickser
fît de lui son employé à part entière; quel bonheur d'avoir un employé
qui accomplissait chaque tâche si volontairement, si minutieusement, si
parfaitement, d'une obéissance et d'une servitude quasi-militaire. Il
avait 13 ans. Il y travaillait environ 15 heures par semaines à raison
de 50 à 75 cents de l'heure et ceci jusqu'à ses années de collège Il
rangeait le stock, montait des poussettes, déchargeait les camions ou
préparait les commandes à expédier. Il semblait également apprécier de
travailler chez Sickser's. Il était jamaïcain d'origine et put ainsi
apprendre à converser en Yiddish avec ses patrons, mais aussi avec une
clientèle de Hassidim qui, elle, ne parlait pas toujours l'anglais.
A 17 ans, notre jeune homme entra au City College de New York, où il se
fit rapidement des amis parmis les étudiants juifs américains, puisqu'il
les connaissait bien et qu'il parlait leur language ! Il y poursuivit
de hautes études en ingénierie et en géologie.
Après avoir brillamment obtenu ses diplômes et avoir servi son pays 2
fois au Vietnam, Colin Powell -c'est son nom- gravit dûment les plus
hauts échelons de l'administration militaire américaine. En 1991, avec
le Général Schwartzkopf, il mena son armée à la victoire sur l'Irak lors
de la première Guerre du Golfe.
Deux ans plus tard, lors de sa visite d'Etat en Israël, il salua le
Premier Ministre Itshak Shamir avec un "Men kent reden yiddish !" (On
peut parler en yiddish ! ) Shamir en fut abasourdi ! Puis ils
conversèrent ensuite effectivement en yiddish, sa deuxième langue. Il y
dit alors n'avoir jamais oublié le Bronx, et que son expérience chez
Sickser's lui avait procuré un certain équilibre personnel.