Je vous livre un texte assez long, assez dur aussi, mais très vrai.... (malheureusement) :
Médecins du Monde:
"Les attentats palestiniens commis depuis octobre 2000 sont des crimes contre l'humanité"
L’ONG humanitaire Médecins du Monde a rendu public, le 21 juillet 2003, un important rapport sur «les civils israéliens victimes des attaques des groupes armés palestiniens». Le rapport, qui analyse les causes et les effets des attentats «démocides» visant la population israélienne – des attentats qu’il qualifie de «crimes contre l’humanité» – a été aussitôt rejeté par les organisations palestiniennes. Nous en publions ici des extraits (le texte intégral peut être consulté sur www.medecinsdumonde.org).
Ce rapport – qui est la première étude sur les victimes israéliennes par une ONG française – fait suite à un autre rapport, rédigé un an plus tôt par Médecins du Monde conjointement avec la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui condamnait le comportement de l’armée israélienne envers la population palestinienne de Naplouse (1). Pour une raison non expliquée, la FIDH, qui était co-auteur du rapport attaquant Israël, n’a pas jugé bon de participer au présent rapport sur les victimes israéliennes.
Nous proposons d’employer le néologisme «démocide» pour nommer les attentats visant les civils où l’assaillant se donne la mort en tuant le plus possible de personnes autour de lui. Le terme «démocide» (2) est composé des deux mots dêmos (peuples, populations, en grec) et cide (du latin coedere, tuer).
En effet, jusqu’à maintenant étaient utilisées indifféremment les expressions «attentats suicide» ou «attentats kamikaze», qui ne conviennent pas. En parlant d’attentat suicide, l’accent est mis non pas sur les victimes mais sur l’assaillant qui se donne la mort. Le mot «kamikaze» correspond à l’action des aviateurs militaires japonais, pendant la deuxième guerre mondiale, qui sacrifiaient leur vie en jetant leur avion sur des objectifs militaires ennemis; or, dans les attentats dits «kamikaze», l’objectif clairement identifié n’est pas militaire mais est de tuer le plus grand nombre de civils.
Le terme d’attentat «démocide» permet ainsi de ne pas faire de contresens et de rendre compte plus explicitement de la réalité de l’action.
Les endroits de rassemblement ou d’affluence sont particulièrement visés, comme les marchés, les lieux de loisir comme les dancings, les restaurants et les cafés, les sites d’enseignement comme les universités ou les yéshivas (lieux d’études religieuses), et les moyens de transport publics: cars et gares routières… En visant ces lieux, il s’agit d’atteindre le plus grand nombre de personnes et en particulier les civils.
Quelles que soient les sources consultées, étatiques ou non gouvernementales, médicales ou policières, la proportion de civils parmi les victimes est très élevée et au moins égale à 70%.
Les violences menées par les groupes armés palestiniens touchent essentiellement les civils. Or les Conventions de Genève et leurs Protocoles Additionnels, comme le Droit International Coutumier, reposent sur «le principe de distinction» qui impose aux combattants de faire la distinction entre objectifs militaires et personnes civiles.
Les informations recueillies auprès du MDA [Maguen David Adom, ou «Étoile de David Rouge»: équivalent de la Croix-Rouge] et de l’hôpital Shaaré Tsédek indiquent que les secouristes sont aussi l’objet d’attaques ciblées par les groupes palestiniens armés. C’est ainsi qu’entre le 29 septembre 2000 et le 12 août 2002, 11 membres du MDA ont été atteints; la plupart étaient en train de porter des soins au moment des faits.
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Témoignage d’Elad, blessé sur un marché
Elad, 25 ans, est vendeur de légumes au marché de Netanya. Il est originaire d’Éthiopie, d’où il est arrivé avec ses parents alors qu’il avait 7 ans. Il a été victime d’un attentat perpétré le 19 mai 2002 par un Palestinien qui s’est fait exploser au milieu des chalands qui faisaient leurs courses. L’attentat a été revendiqué par le FPLP.
«J’étais au travail, sur le marché, tout allait bien. Les affaires marchaient. Vers 15h45, j’ai laissé mon stand pour aller me chercher à manger. Ce jour-là je ne me suis pas arrêté pour me mettre à table, j’avais quelqu’un à voir. Je suis revenu vers mon stand. Il y avait une pomme de terre au sol, je me suis baissé pour la ramasser. J’ai entendu une forte explosion, il y a eu du noir devant mes yeux. Je suis tombé sur le dos.
J’ai perdu connaissance. Quand j’ai repris conscience, je regardais partout autour de moi, tout était renversé. J’ai été transporté dans une ambulance. J’ai encore perdu connaissance et me suis réveillé à l’hôpital de Netanya. Mon père criait à côté de moi, il croyait que j’étais mort.»
Bilan médical:
Paraplégie D8 liée à un corps métallique fiché dans la moelle épinière; 27 clous de répartition diffuse dans le corps. A été opéré pour enlever des clous compromettant le pronostic vital: dans la partie latérale droite du cou menaçant l’artère carotidienne, au thorax menaçant les poumons, et à l’abdomen où un clou avait embroché le gros intestin.
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Témoignage de Paulina, blessée dans l’attentat de la discothèque du Dolphinarium
«C’était le 1er juin, j’étais avec deux amies. On venait de passer la première partie du bac, on voulait fêter ça. Il y avait peu de monde quand on est arrivées. Je leur ai dit que ça allait être ennuyeux, il valait mieux partir. Mon amie a insisté, je suis restée mais sans être contente de rester. On faisait la queue pour entrer. On avait aperçu une bande de copains et de copines qui étaient au début de la file. L’une d’elle est venue nous dire bonjour et nous a proposé de l’accompagner au début de la file. On n’a pas voulu, on avait déjà nos billets et on était sûres de pouvoir entrer. Elle a rejoint le haut de la file, elle est morte.
Quand l’explosion a retenti, je n’ai pas compris que c’était une bombe. Je me suis réveillée parce que quelque chose me brûlait sur le bras. J’étais pleine de sang. Tout était brûlé autour de moi. ça sentait mauvais. Tout le monde criait. J’ai vu mon amie courir et s’enfuir, j’ai voulu faire pareil, je n’arrivais pas à me lever. J’ai crié. Quelqu’un m’a tiré de cet endroit en m’attrapant par les cheveux. Je me suis alors levée et me suis mise à courir. Il y avait beaucoup de voitures.
J’ai vu que mon amie était derrière une voiture avec les policiers dont un que l’on connaissait. Je me suis cachée avec eux derrière la voiture. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’avais mal partout, je me sentais brûlée, j’avais du sang partout, mais je ne comprenais pas. Mon amie n’arrêtait pas de hurler, moi j’avais envie de silence.
Un groupe d’Israéliens est venu vers moi, me disant que tout irait bien. Ils se sont mis à parler, je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je n’arrivais pas à me concentrer. Je voulais retrouver mon autre amie et partir. Je voulais me doucher pour ne plus voir tout ce sang.
J’ai voulu me lever et partir, mais je n’y suis pas arrivée. J’ai pris ma jambe dans mes mains pour me lever. Mon amie a hurlé encore plus: “Regarde ta jambe”. J’ai regardé, j’avais un énorme trou béant.
On m’a portée vers une ambulance. Sur le chemin, j’ai vu tous les corps et tous les blessés. Arrivée à l’hôpital, j’ai vu un médecin qui avait l’air dépassé. Il y avait des dizaines de brancards qui arrivaient et quelqu’un disait: “blessé grave”, “blessé moyen”, “blessé léger”; là, j’ai compris qu’il y avait eu un attentat. Pour les examens aux urgences, je passais d’une pièce à l’autre, les télévisions étaient allumées, les noms des morts étaient affichés et j’ai vu celui de mon amie.»
Attentat du Dolphinarium - Tel Aviv
Date: 1er juin 2001.
Ville: Tel Aviv.
Lieu: Front de mer, discothèque en plein air, file d’attente pour l’entrée.
Type d’attaque: Attentat «démocide».
Particularités: Vendredi soir, circulation importante sur le front de mer.
Nombre de morts: 21 (17 morts sur place).
Nombre de blessés: 120 (sources: ministère des affaires étrangères) dont 86 traités et évacués par le Maguen David Adom.
Revendication: Brigades Ezzedine al-Qassam (branche armée du Hamas).
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Témoignage de Shimon, chauffeur de bus rescapé d’un attentat
Les bus ont été l’objet d’attentats à de très nombreuses reprises. Il faut souligner que les blessures occasionnées dans ces enceintes fermées sont beaucoup plus sévères. L’effet de «blast» est démultiplié.
Shimon, 56 ans, est chauffeur de bus de la compagnie Egged depuis 35 ans.
Il habite Tel Aviv. Le 20 mars 2002, le bus qu’il conduit sur la ligne 823, effectuant le trajet Tel Aviv/Nazareth, est l’objet d’un attentat au croisement Musmus (Wadi Ara). Un passager, membre d’un groupe armé palestinien, se fait exploser au milieu des autres passagers.
«Je suis sorti à 5h30 du matin de Tel Aviv. Avec ce bus, je stoppais à toutes les stations. À Wadi Ara, un village arabe, je me suis arrêté. Six passagers arabes sont montés: trois écoliers, deux adultes d’environ 65 ans, et un autre plus jeune. Le plus jeune était le terroriste. J’ai redémarré et, après le deuxième feu, l’homme-bombe a explosé.
J’ai entendu crier, après je n’ai plus rien entendu. Tout avait explosé, le plafond, les vitres. Certaines victimes avaient été éjectées à travers les vitres. Tout le monde a été atteint. Il y a eu 7 morts et 32 blessés.
Les personnes qui pouvaient se lever sont sorties par la porte avant et les fenêtres. La porte arrière était bloquée. Le tableau de bord m’était tombé dessus et j’ai mis du temps à me dégager pour sortir moi aussi. En me levant, j’ai buté du pied dans une dame qui était par terre. Elle était morte. Avant, elle était assise trois sièges derrière moi. Il y avait de la fumée, deux sièges avaient pris feu.
On a fait venir de l’eau pour éteindre l’incendie. Les ambulances sont arrivées et ont évacué ceux qui étaient dehors, car, à l’intérieur, il n’y avait que des morts.
La chose la plus troublante dont je me souvienne, c’est qu’un policier est venu vers moi et m’a demandé d’identifier une personne, un objet, qui était sur le bas-côté de la route. Une tête et des jambes… [Le chauffeur marque alors un long temps d’arrêt et ne reprend que parce qu’encouragé à le faire.]
Le policier pensait que c’était le terroriste, mais ce n’était pas lui, c’était un voyageur qui était monté à Tel Aviv.
Il avait les cheveux longs bouclés, le terroriste avait les cheveux très courts. Sur les six personnes qui étaient montées à la dernière station, le terroriste était le seul à avoir donné la somme précise du billet. Il avait poussé une des personnes âgées qui attendait sa monnaie, elle n’avait ainsi pas pu la reprendre.
Quand je me suis dirigé vers cette tête, j’ai vu qu’elle était pleine de sang. Elle n’était pas facile à reconnaître, mais je me suis souvenu de lui, il avait les cheveux longs, ce n’était pas le terroriste.
En revenant vers mon bus, le policier m’a demandé de couper le contact. En remontant dans mon bus, j’ai revu cette femme qui était morte à côté de mon siège. Il y avait aussi trois militaires assis, mais ils étaient morts. Un Éthiopien, assis trois rang derrière moi, était mort aussi. Ça m’a fait un choc.
L’ambulance est venue me chercher et m’a conduit à l’hôpital. On m’y a fait des examens et je suis resté hospitalisé quatre jours. Pendant trois semaines je n’entendais rien.
J’ai beaucoup de mal à dormir. Je dors deux heures par nuit. Je reste à regarder la télévision jusqu’à 1h30 du matin. Le soir, j’ai des vertiges. J’en ai aussi parfois la nuit. Je m’endors et je me réveille en sursaut. Ça fait cinq mois déjà, et je prends toujours des médicaments pour dormir et pour me calmer.
Le fait que je ne dorme pas est dû aux images que je ressasse, me rappelant ce que j’ai vu dans le bus et à l’extérieur. La nuit, je transpire et je grince des dents, je ne le faisais pas avant. Mon état ne s’améliore pas. J’ai mal au cou, j’entends mieux mais les vertiges s’accentuent avec le temps.
Je vis avec ça, j’essaie de passer cette période. Je suis suivi par un psychologue, un kinésithérapeute et un ORL. Voilà, c’est la période d’enfer que je suis en train de vivre.»
Attentat au carrefour routier Méron
Date: 4 août 2002.
Lieu: Carrefour routier Méron (nord d’Israël).
Type de cible: Bus (compagnie Egged).
Type d’attaque: Attentat «démocide».
Particularités: Lieu de pèlerinage juif.
Nombre de morts: 9 dont 3 militaires (tous morts sur place).
Nombre de blessés: 56 (sources: branche médicale de l’armée israélienne), dont 48 traités et évacués par le Maguen David Adom.
Revendication: Brigades Ezzedine al-Qassam (branche armée du Hamas).
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Yossi Ish-Ran et Koby Mandel, âgés de moins de 14 ans, ont été retrouvés morts le 9 mai 2001. Ils étaient sortis se promener à proximité de l’implantation du Goush Etzion où ils résidaient. Leurs corps ont été retrouvés, le crâne écrasé à coups de pierres, d’une telle manière que les familles ont été incapables de les reconnaître. Il a fallu recourir aux empreintes dentaires pour les reconnaître…
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Lors de l’attaque de l’implantation d’Adora, le 27 avril 2002, un assaillant palestinien est entré dans une maison pour tuer Danielle Shefi, 5 ans, qui s’était cachée sous son lit. Ses frères Ouriel, 4 ans, et Eliad, 2 ans, ainsi que leur mère ont été blessés. Cette action, qui a fait quatre morts et sept blessés, a été revendiquée par le FPLP et les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas.
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Les attentats sont souvent perpétrés lors de moments festifs, comme des célébrations de bar-mitsva, cérémonie du Séder pascal, ou encore dans des lieux de détente comme les discothèques, cafés, restaurants.
Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que ces attentats, perpétrés par des porteurs de bombes qui se font exploser dans des lieux publics et très fréquentés, ont pour objectif de semer la terreur parmi la population israélienne.
Les Conventions de Genève interdisent explicitement les «actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile».
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Les armes employées contre les civils
Des agents vulnérants variés
Les méthodes utilisées pour s’en prendre aux civils israéliens sont extrêmement variées: pierres, armes blanches, lynchages, balles, voitures et charges explosives. Parmi les armes à feu utilisées, on trouve toutes sortes de pistolets et fusils, incluant les fusils d’assaut Kalachnikov AK47 et fusils M16.
Les explosifs sont les armes les plus utilisées
Les groupes armés palestiniens utilisent différentes techniques. Les explosifs sont parfois posés au sol, dissimulés dans des objets (sacs, pots de fleurs, pastèques…), installés dans des voitures piégées. De plus en plus souvent ils sont portés en ceinture, à même le corps d’une personne, ou cachés dans une voiture conduite par un individu qui sait qu’il va mourir dans l’explosion, au milieu d’une foule de civils.
Des bombes au contenu «particulier»
Ces bombes, en plus de la charge explosive, contiennent des vis, des clous, des boulons, des billes de métal et autres matériels métalliques. Ce phénomène n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’augmentation de la quantité d’explosif qui provoque plus de dégâts.
Dans les années 90, certaines bombes contenaient aussi de la colle ce qui, en plus de la brûlure de l’explosion, provoquait une brûlure chimique profonde.
Récemment, différents produits chimiques ont été retrouvés sur des blessés ou sur les lieux même de l’attentat, mais aucun des blessés n’a souffert d’intoxication. Ces produits sont des raticides (moins de 10 cas) et des pesticides organophosphorés pour les dernières attaques. Les premiers pourraient donner des saignements (trouble de la coagulation sanguine) à retardement, les deuxièmes des signes neurologiques différés par rapport à l’attentat.
Ces attentats de masse, indiscriminés, s’en prenant intentionnellement à la population civile, avec l’adjonction d’éléments vulnérants comme clous et boulons, afin d’entraîner des souffrances supplémentaires peuvent être qualifiée «d’actes inhumains» (3).
Les mêmes objectifs sont recherchés par la multiplication des attaques contre des civils. Ces types de violence causent intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale aux victimes, et représentent des infractions au Droit International Humanitaire (4).
Les conséquences médicales des attentats sur la population civile
Les lésions dues aux bombes
Ce sont des brûlures aux second et troisième degré, des blessures organiques profondes par clous et petits objets métalliques, mais aussi paraplégies ou incapacités motrices temporaires, ou encore des incapacité sensorielles comme une surdité partielle ou totale, ou une cécité.
a. L’onde de choc
Le pouvoir lésionnel de l’onde de choc dépend des caractéristiques de l’explosif, variables selon le type et la quantité employée. L’environnement dans lequel cette onde de choc se propage va lui conférer un pouvoir lésionnel plus ou moins grand. Il est supérieur en milieu fermé, tel qu’un autobus aux fenêtres closes, ou une salle de restaurant…
D’autres éléments interviennent, comme la distance entre les personnes et l’explosif, ou le volume corporel (une personne en surpoids est plus résistante à l’onde de choc). C’est ce qui explique que parfois, même à des distances très proches, certaines victimes mourront alors que d’autres pourront survivre.
L’onde de choc crée essentiellement des lésions des organes qui contiennent de l’air. L’oreille est l’organe le plus sensible, particulièrement les tympans, plus rarement les osselets. Le poumon est l’organe critique. Les atteintes pulmonaires sont en effet la principale cause de mortalité après une explosion. Les autres organes contenant de l’air et qui sont touchés sont le larynx, la trachée et le tube digestif (des organes non gazeux peuvent être touchés, comme le cerveau, le foie, la rate…).
Les arrachements de membres sont des lésions spécifiques de l’onde de choc, mais on ne les voit quasiment jamais chez les survivants. Elles sont par contre très fréquentes chez les morts, et touchent les sujets très proches de l’explosion. L’arrachement est tellement synonyme de mort qu’à l’arrivée des secours, un tel blessé est considéré comme décédé.
Les lésions pulmonaires et digestives peuvent se manifester à retardement, après 24 heures par exemple, ce qui n’est pas sans poser problème. Ce fait est toutefois aujourd’hui bien connu des médecins.
Les lésions de l’onde de choc, bien que graves, ne posent pas de difficultés de diagnostic aux soignants, car elles sont rencontrées fréquemment dans la chirurgie de guerre.
b. «Le vent du blast»
C’est le déplacement d’une très grande masse d’air qui suit immédiatement l’onde de choc. Sa vitesse initiale à proximité de l’explosion est très importante, de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètres/heure, soit une vitesse plus importante qu’une tornade ou qu’un cyclone. Ce vent projette les sujets et les objets exposés sur des surfaces dures, parfois contondantes.
À distance, ce vent chute très rapidement. Une personne derrière un mur en sera protégée, sans toutefois être à l’abri de l’onde de choc. Ce déplacement du corps peut donner différents types de lésions, profondes ou superficielles, notamment des fractures ouvertes de membres.
La projection de débris générée par ce phénomène peut être variée:
- matériaux brisés, comme des bouts de verre ou des petits objets métalliques;
- morceaux de vêtements: boutons ou tissus;
- débris humains étrangers au blessé, comme des os ou du sang. Les risques sont ici la transmission de virus comme celui du VIH-SIDA, de l’hépatite B ou C. Il existe un cas documenté où l’auteur d’un attentat démocide est atteint d’hépatite B. Les blessés reçoivent tous aux urgences la première injection de vaccin contre l’hépatite B, leur sang et celui du ou des attaquants sont testés pour ces virus.
Mais la véritable difficulté réside dans le contenu de la bombe et/ou de son contenant. La tâche des soignants est singulièrement compliquée par l’inclusion de clous, vis, boulons ou d’autres matériels métalliques.
«Un blessé dit léger était arrivé aux urgences, il déambulait tout seul dans les couloirs, ne se plaignait de rien. Or les examens ont montré qu’il avait l’estomac perforé par un clou.» (Témoignage du Dr Stein, chirurgien, hôpital Beilinson, Tel Aviv.)
Ces éléments se comportent relativement différemment des éclats métalliques de bombes, que les chirurgiens de guerre connaissent bien. Les clous créent une porte d’entrée très petite, parfois de la taille du millimètre, et le plus souvent elles sont multiples. Il est alors impossible de l’extérieur de savoir quels sont les dégâts en profondeur. Ce sont eux qui posent les problèmes diagnostiques les plus difficiles.
«Ce blessé avait plusieurs lésions cutanées a priori superficielles. Il pouvait marcher, son comportement était quasi normal après un attentat. Les radiographies du crâne faites systématiquement ont montré un clou dans la région frontale. On a ré-examiné le blessé et on a trouvé une toute petite porte d’entrée derrière la tête (région occipitale). Le clou avait traversé tout le cerveau. Le clou a été laissé en place et le patient va bien.» (Témoignage du Dr Einav, service d’anesthésie réanimation, Hôpital Hadassah, Ein Kerem.)
Ces types de projectiles sont connus de tous les soignants s’occupant de victimes d’attentats, et cela depuis des années. En revanche, le changement depuis septembre 2000, c’est qu’ils entrent plus profondément dans l’organisme, en raison d’une charge explosive plus importante. Ils créent ainsi plus de dégâts.
Les clous et boulons qui ont blessé des organes importants seront enlevés dans le même temps opératoire que la réparation des lésions, s’il est pertinent de les réparer. Les clous et boulons menaçants, c’est-à-dire situés à proximité d’un vaisseau ou d’un nerf, seront également enlevés. Les autres projectiles sont laissés en place, au prix parfois de graves problèmes psychiques pour les victimes.
Itzhak, 57 ans: «J’ai encore un boulon là sous la peau [face antérieure du thorax]. Je voudrais qu’ils me l’enlèvent, mais ils ne veulent pas. Moi, je ne veux pas le garder en moi».
«Une femme a un morceau d’os étranger dans le thorax, elle cherche partout un chirurgien pour le lui enlever mais personne ne veut le faire.» (Dr Michaël Stein.)
c. L’effet thermique
Une explosion s’accompagne d’une libération de chaleur. Cet effet thermique est limité dans le temps et dépend de la nature de l’explosif et de la présence éventuelle surajoutée de produits inflammables. Le type de brûlure observée chez les blessés lors d’explosions, au moins depuis septembre 2000, touche surtout les parties découvertes du corps et reste relativement superficielle au premier ou au deuxième degré: ce sont les brûlures par flash, comme on le voit dans les explosifs détonnant sans adjonction de produit inflammable. Elles ne posent en général pas de problème et le recours à la greffe cutanée est rare.
Il se peut toutefois que l’explosion crée un incendie, ce qui cette fois engendre des brûlures par flammes, bien différentes des précédentes.
Les conséquences des attaques sur la santé mentale des civils
a. État de Stress Post-Traumatique
L’exposition d’un individu à un événement traumatique provoque une peur intense qui a pour effet le développement de symptômes psychologiques invalidant la vie quotidienne. Ce trouble se manifeste par une réactualisation persistante de l’événement traumatique, dans des souvenirs obsédants (pensées, images), des cauchemars répétitifs (syndrome de répétition), des comportements phobiques, un émoussement de la réactivité générale et un état d’hyperactivité neurovégétative.
La pénétration de corps étrangers dans le corps des victimes provoque une angoisse massive.
Itzhak, 57 ans, est assis sur un fauteuil d’hôpital, la respiration difficile. La violence de l’explosion a été telle que son système cénesthésique et de repérage temporo-spatial s’est trouvé totalement débordé: absence de sensations de douleur; léger état confusionnel; déni de la réalité de l’explosion («J’ai pensé qu’il y avait un problème électrique»), déni de la gravité de son état («mais je ne pensais pas qu’ils allaient me transporter en ambulance»).
C’est dans l’après-coup que la douleur physique se réveille, lorsque Itzhak prend conscience qu’il a été victime d’un attentat. Le choc psychologique est profond, proportionnellement lié à l’effet de surprise de l’explosion. C’est sur son lieu de travail que l’attentat a lieu, et l’hypothèse qui lui vient à l’esprit pour expliquer l’explosion est directement liée à son activité professionnelle.
Un sentiment de culpabilité est peut-être sous-jacent, il se sent au moment de l’explosion en partie responsable de celle-ci. Sur le coup, il ne lui vient à aucun moment l’idée qu’il s’agit d’un attentat à la bombe. L’effraction est psychologique, elle est source de psycho-traumatisme; mais elle est également, dans le cas d’Itzhak, physique. Des éclats métalliques ont effracté son corps, un morceau de métal est entré par le dos et s’est fixé dans le thorax, entravant la respiration. Chaque souffle de vie lui rappelle l’événement, et Itzhak a peur de ce morceau de métal ancré dans son corps.
b. Le phénomène de post-traumatisme en chaîn
Le post-traumatisme touche également des personnes qui n’ont pas été blessées, voire des personnes qui n’étaient pas présentes sur le lieu de l’attentat. Il peut ainsi toucher ceux ayant un lien avec une victime (proches parents, amis, voisins), ceux habituellement présents sur le lieu de l’attentat, des enfants appartenant à la même école que des victimes. Également exposés à ce syndrome: les sauveteurs, les journalistes, les policiers, toute personne qui se retrouve projetée, de par sa profession ou sa mission sociale, sur la scène de l’attentat.
Le post-traumatisme s’enchaîne, entraînant dans sa dynamique une collectivité d’individus après chaque attentat. Il est difficile d’en quantifier les conséquences, l’effet de répétition des attentats démultipliant le nombre de victimes directes et indirectes.
Israël compte six millions d’habitants. Étant donné le nombre de victimes depuis septembre 2000 (environ 5 000 victimes, morts et blessés, soit un peu moins de 1% de la population générale), la probabilité pour que chaque habitant israélien connaisse directement une victime est forte. Ramené à la population française (60 millions d’habitants), un attentat comme celui du Dolphinarium (21 morts et 120 blessés) aurait un bilan multiplié par dix, soit 210 morts et 1 200 blessés.
Ainsi, une situation tout à fait inédite se produit du fait des attentats à répétition, s’inscrivant dans une chronologie dont tous les spécialistes locaux s’accordent à dire qu’on ne connaît pas les conséquences à long terme sur l’ensemble de la population israélienne. Le Dr Zeev Wiener avance que toute la communauté a des réactions, des dysfonctionnements, de nombreux troubles qui ne sont pas catalogués pathologiques mais qui risquent de le devenir.
§
Ana, 47 ans, en Israël depuis neuf ans, habitait Odessa (Ukraine)
«La semaine dernière, ma fille m’a appelée au téléphone vers 8h du matin pour me dire qu’elle allait bien. C’était le jour de l’attentat du bus dans le nord au carrefour Méron, le 4 août 2002. J’ai écouté la radio, et j’ai dû prendre un médicament anxiolytique. Puis j’ai rappelé ma fille, qui était dans un bus. Ma fille et moi nous nous sommes parlé, mais ni l’une ni l’autre n’a évoqué l’attentat.
Quand nous sommes arrivées en Israël, ma fille avait neuf ans. Dès notre arrivée j’ai enseigné dans un lycée, je me suis vite intégrée. Le 6 avril 1994, un an après notre arrivée, un homme s’est fait exploser près de moi, dans un bus à Afoula. C’était le premier attentat de la série, on était alors proche de la paix. Il y a eu huit morts.
Pendant deux ans, j’ai jalousé ceux qui étaient morts. J’ai été brûlée au deuxième degré sur 75% du corps et intoxiquée par les fumées. Pendant un mois et demi, j’ai eu des anesthésies générales tous les jours pour refaire les pansements. J’ai eu douze interventions chirurgicales, et je suis restée onze mois à l’hôpital. À ma sortie, je ne me reconnaissais pas. Je n’ai pas fonctionné en tant que mère pendant deux ans. Je suis devenue laide.
Depuis, huit ans se sont écoulés. Je vis, je suis ici, je vous parle. Je suis volontaire à Selah; cette organisation, au-delà de toutes les statistiques, représente la figure humaine d’Israël. J’ai été adoptée par cette famille qui me soutient dans cette épreuve: des gens qui sont venus me voir à l’hôpital, qui se sont occupés de ma fille, une fille sans père ni mère dans un pays étranger.
Durant toutes ces années, à travers le volontariat, je retrouve une ligne de vie. J’ai fait partie de l’équipe d’urgence pour l’attentat du Dolphinarium et celui du Park Hotel à Netanya, en avril [en fait, le 27 mars 2002]. Au Dolphinarium, la majorité des morts et des blessés étaient des immigrés.
La vie ne sera plus comme on avait pu l’imaginer un jour.
Je voudrais vous remercier, car c’est la première fois que des gens viennent vers nous pour évaluer les conséquences des attentats.»
§
L’association Zaka existe depuis 1997. Elle a été créée par des Juifs orthodoxes pour répondre au commandement religieux juif qui oblige, avant de procéder à l’inhumation d’un mort, de s’assurer de son identification de la façon la plus certaine qui soit, et d’enterrer toutes les parties du corps, si la mort a été violente, après avoir réuni tous les morceaux, y compris les plus petits lambeaux de chair.
Zaka est une association de volontaires, qui s’est considérablement développée depuis deux ans et compte 600 volontaires en Israël répartis sur six régions, dont 200 à Tel Aviv. Un nouveau département a été créé, dévolu aux victimes d’attentats, qui comprend plusieurs services: ramassage et identification des parties des corps, annonce du décès des victimes aux familles, accompagnement des parents lors de l’identification du corps à la morgue, suivi psychologique des familles. Les corps brûlés sont très difficiles à identifier, et tant que la mort n’a pas été certifiée et officiellement confirmée par les tests ADN, le nom des victimes reste secret. Les journalistes s’informent à la morgue de l’identité des personnes décédées.
§
Haïm, officier de police, ancien aumônier militaire, est actuellement volontaire à Zaka en tant que chef d’équipe. Haïm ne va jamais annoncer de décès aux familles, car il «travaille sur le corps» et l’affect et l’émotion le déborderaient s’il devait s’adresser directement aux parents du disparu. Lui-même souffre parfois de symptômes post-traumatiques.
En tant qu’officier, il crée un groupe de parole après chaque mission. Mais les Juifs orthodoxes sont réticents à livrer leurs ressentis; ils considèrent qu’ils accomplissent une mission très fortement investie religieusement. Cependant, Haïm est attentif à chacun de ses coéquipiers et les reçoit individuellement après une mission.
Il nous cite l’histoire de Yoram. Yoram est un ami de Haïm, officier expérimenté comme lui dans ce type de mission d’identification des corps et des restes humains.
À Netanya, un attentat se produit; 19 soldats sont tués. Haïm observe que Yoram a un comportement étrange: il vérifie quatre fois le même corps. Après la mission, Haïm appelle son ami pour s’enquérir de son état, et lui demande amicalement de lui raconter le déroulement de sa journée à partir du moment où il a été «bipé» pour intervenir sur le lieu de l’attentat. Yoram ne parvient pas à se souvenir de ce qu’il a fait pendant une heure. Il ne se souvient pas de la première personne à qui il a parlé.
Haïm a organisé une rencontre avec Yoram et deux autres amis, et il leur a proposé de noter sur un tableau leur emploi du temps de cette journée, heure par heure. Par comparaison, Yoram a pu retrouver ce qu’il avait fait pendant cette heure effacée de sa mémoire.
Un quart d’heure avant l’attentat, Yoram avait déposé son fils soldat à la station de bus où s’est produite l’explosion. Lorsqu’il est arrivée sur les lieux, il a vu dépasser des chaussures de couleur rouge des couvertures recouvrant les corps. Des chaussures de la même couleur que celle de son fils. C’est pour cette raison qu’il a vérifié quatre fois le même corps.
Il a tout gardé pour lui, il n’a dit à personne qu’il venait d’accompagner son fils sur les lieux de l’attentat. Il a fait son «travail» comme d’habitude. «Depuis ce jour, Yoram n’est plus le même homme.»
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David est un homme âgé de 26 ans, habitant de Tel Aviv. Il a été infirmier du Maguen David Adom puis secrétaire médical à l’hôpital Ichilov de Tel Aviv. Actuellement, il est bénévole au service administratif du MDA.
Il présente des tics du visage et des tremblements. Il est déjà intervenu sur les lieux de six ou sept attentats où les victimes, des morts et des blessés, étaient principalement des adultes. «C’était en 1996, pendant la fête de Pourim [fête religieuse durant laquelle les enfants se déguisent], je suis arrivé le premier sur l’attentat du Dizengoff Center (5). J’étais infirmier. Cette fois-ci, 95% des victimes étaient des enfants. Des enfants brûlés, impossibles à identifier. La charge explosive contenait de l’essence. J’ai vu des enfants dont les organes étaient à l’extérieur, des membres manquaient. Du fait de l’extrême chaleur de l’explosion, des doigts étaient collés sur les poteaux d’éclairage.
J’avais à l’époque 19 ans. Après avoir soigné les blessés, j’ai dû ramasser les restes humains. J’ai ramassé la tête du terroriste: la peau claire, les yeux ouverts. J’avais déjà vu des corps démembrés au cours d’attentats, mais des corps d’enfants…
Je me souviens de l’odeur de chair brûlée. Alors que je mangeais quotidiennement de la viande, j’ai été incapable pendant 2-3 ans de voir, toucher et sentir toute sorte de viande.»
Immédiatement après être intervenu sur les lieux de l’attentat, David a été pris d’une attaque de panique et d’angoisse «extrême». Il a développé des troubles du sommeil avec cauchemars récurrents au cours desquels il se revoyait sur la scène de l’attentat au milieu de corps d’enfants démembrés et évidés de leurs organes, «des images de sang». Sa personnalité s’est modifiée durablement: excitation, irritabilité, «nervosité extrême», asthénie (fatigue pathologique), insomnie, anorexie, bégaiement, aggravation de tremblements essentiels.
David ressent un sentiment d’impuissance face au désastre qu’il constate visuellement. À la mission de secours des blessés, dans laquelle il investira toute son énergie disponible, succède ce sentiment intense d’impuissance, corollaire d’un sentiment de culpabilité. Une dépression sévère avec insomnie rebelle accompagnera l’anorexie, conduisant David à cesser toute activité. «Je me suis adressé au Bitouah Léoumi (équivalent de la Sécurité sociale en France), au département spécialisé pour les blessés d’attentat.»
Puisqu’il ne peut secourir, il s’identifie inconsciemment comme victime de l’attentat et n’aura de cesse de tenter de faire entendre cette position subjective aux organismes sociaux chargés de définir son taux de handicap. Il a été hospitalisé trois fois.
Le 1er juin 2001 survient l’attentat du Dolphinarium. David travaille aux soins intensifs de l’hôpital Ichilov. «J’ai travaillé 25 heures d’affilée, cela ne m’a laissé aucun trauma!»
David se trouve alors dans une situation probablement euphorique et d’hyperactivité. Il ne ressent pas la fatigue et mobilise toute son énergie pour sauver les jeunes victimes de l’attentat du Dolphinarium, rejouant activement, sur une scène traumatique similaire, son impuissance de 1996. Bien qu’il affirme n’avoir à cette occasion subi «aucun trauma», une nouvelle série de symptômes apparaîtra après quelques semaines.
En juillet 2001, après une prise de vodka, «je me suis enfui vers la mer, la police m’a ramené alors que j’étais dans un état de confusion. Je n’ai pas parlé pendant 10 jours et j’étais incontinent».
«J’ai alors décidé d’affronter la vie autrement, de revenir à la vie que j’avais avant. Depuis décembre 2001, je travaille en tant que volontaire au service administratif du MDA.»
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Sur le plan social, les Israéliens ont été traumatisés par les récits de vie de survivants de la Shoah, qui comptent dans la représentation sociale parmi les bâtisseurs de la Nation et dont certains ont péri dans des attentats «démocides».
L’attentat du Park Hotel [commis lors du Séder pascal, le 27 mars 2002, dans la ville de Netanya] a, de ce point de vue, marqué durablement les esprits. Parmi les 29 victimes décédées, 19 avaient plus de soixante-dix ans. La plus âgée, Hanna Rogan, avait quatre-vingt-dix ans. Périr dans un attentat en Israël après avoir survécu à la déportation dans le camp de la mort d’Auschwitz a choqué la population israélienne. C’est le cas d’au moins six des victimes de cet attentat.
Frieda Britvitch, 86 ans, et Alter Britvitch, 88 ans, habitants de Netanya. Née à la frontière de la Roumanie et de la Tchécoslovaquie, survivante d’Auschwitz. Après un long périple, elle rencontre son mari. Ils s’étaient mariés et installés à Netanya en 1947. Le couple succombera à cet attentat.
Sarah Levy-Hoffman, 89 ans, habitante de Tel Aviv. Née en Tchécoslovaquie, survivante d’Auschwitz et immigrante en Israël en 1949.
Eva Weiss, 75 ans, habitante de Petah Tikva; Ernest Weiss, 79 ans habitant de Petah Tikva. Eva et Ernest Weiss survécurent à la déportation. Ils se marièrent en 1946 et émigrèrent en Israël en 1964.
Anna Yakobovitch, 78 ans, habitante de Holon. Morte de ses blessures le 11 avril. Épouse de Georges Yakobovitch, 76 ans. Anna était comme son mari une survivante hongroise de la Shoah. Ils étaient mariés depuis 20 ans et se connaissaient depuis l’enfance. Le fils de Anna, André Fried, et sa femme, Idit, ont été tués lors de l’attentat.
Marianne Lehmann Zaoui, 77 ans, habitante de Netanya. Née en Allemagne, elle se réfugie en France et vit son enfance sous une fausse identité près de Lyon. Après la guerre, elle part en Angleterre puis revient en France où elle enseigne l’anglais. Marianne a émigré en Israël il y a 10 ans.
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Les attentats «démocides», par leur fréquence, sont devenus un élément important de l’activité militaire et de la vie politique et sociale palestinienne.
C’est au début de 1994, alors qu’Israéliens et Palestiniens sont engagés dans un processus de paix, que le Hamas va revendiquer le premier attentat de ce type, inaugurant ainsi une longue série.
Une attaque contre les civils nécessite une certaine préparation. Il faut repérer l’endroit le plus propice à faire le plus grand nombre de victimes, en connaître l’activité quotidienne, fabriquer les explosifs et les rendre dissimulables, puis sélectionner et former le candidat au «martyre», l’acheminer sur le lieu choisi. Ceci implique une véritable organisation, loin du geste improvisé d’un désespéré. Au contraire, une véritable équipe est indispensable à la «réussite» de l’opération.
Les moments choisis pour réaliser des violences contre les civils sont souvent soigneusement choisis pour peser sur des situations politiques. Ainsi, la campagne électorale israélienne qui opposait Binyamin Netanyahou à Shimon Pérès a été émaillée de plusieurs attentats du Hamas, conduisant à la défaite de l’ancien Prix Nobel de la paix. Plus récemment, la mission de paix au Moyen-Orient du général Anthony Zinni a été marquée par un attentat meurtrier des Brigades des Martyrs al-Aqsa, annihilant rapidement les possibilités de dialogue entre les deux camps. Le sommet arabe de Beyrouth qui devait examiner le plan de paix saoudien a été salué par une autre action violente. Enfin, la dernière réunion tenue au Caire avec la médiation européenne entre le Fatah et le Hamas, pour envisager une pause dans les attentats en Israël, a été saluée par l’attaque du kibboutz Metzer le 11 novembre 2002, par les Brigades des Martyrs al-Aqsa, faisant cinq morts dont deux enfants. Un porte-parole des Brigades a précisé que «cette attaque était un message aux négociateurs du Caire, que les Brigades des Martyrs al-Aqsa n’arrêteront pas leur lutte et leurs attaques contre Israël» (6).
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Les groupes armés palestiniens préméditent et organisent clairement des violations graves du Droit International Humanitaire, en prenant pour cible des civils israéliens. Leurs chefs politiques ont une lourde responsabilité car ils sont à l’extrémité supérieure de la chaîne de commandement qui conduit aux ordres de tuer des civils.
L’Autorité palestinienne porte elle aussi une responsabilité, en ayant laissé se développer un climat d’impunité pour ceux qui tuent les civils, en n’ayant pas pris des mesures efficaces pour s’opposer à ces attaques, en n’ayant pas mobilisé les moyens de communication à sa disposition pour délégitimer les attentats et leurs auteurs, en ayant entretenu une ambiguïté sur le soutien moral pour les personnes qui organisent ou qui commettent ces crimes.
Le syndicat des journalistes palestiniens a demandé aux groupes armés palestiniens de ne plus prendre de photographies d’enfants en armes, parce qu’il «s’agit d’une violation des droits de l’enfant, et pour les effets négatifs que ces images ont sur le peuple palestinien» (7). Ce qui est condamnable, c’est de donner des armes aux enfants et non pas de les photographier.
Dans les camps de vacances de l’Autorité palestinienne, de nombreux enfants, parfois très jeunes, ont été exercés au maniement des armes et à un entraînement de type militaire. Des images de ces activités ont été diffusées par de nombreuses chaînes de télévision (8).
Concernant le droit des enfants, Médecins du Monde rappelle les obligations morales de l’Autorité palestinienne afin d’empêcher l’enrôlement et les atteintes à la vie des enfants. À ce titre, il est intéressant de souligner que l’Autorité palestinienne a participé aux travaux de la Session spéciale des Nations unies consacrée aux enfants, qui s’est tenue en mai 2002 à New York.
Des mesures devraient être prises par l’Autorité pour empêcher les enfants de participer à des hostilités, arrêter et faire juger les responsables des groupes armés qui ne respectent pas ces engagements, faire des campagnes d’éducation dans les médias palestiniens pour prévenir la participation des enfants aux activités militaires.
Des Palestiniens ont critiqué très clairement les attaques contre les civils israéliens tout en luttant vigoureusement pour défendre leur cause. Il appartient à la communauté internationale, en particulier aux États signataires des Conventions de Genève et aux organisations de citoyens, de les soutenir et de les encourager publiquement dans cette voie.
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Dans ses dispositions régissant la conduite des hostilités, le Droit International Humanitaire impose aux forces recourant à la violence de faire la distinction entre objectifs militaires d’une part, et personnes civiles d’autre part. Ce principe, dit «principe de distinction», constitue le pilier de la protection accordée aux non-combattants par le droit des conflits armés. Il est énoncé par les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et les deux Protocoles Additionnels de 1977, et doit être respecté en toutes circonstances. Le Premier Protocole Additionnel, en particulier, contient un ensemble de règles précises destinées à garantir la protection des civils. Ces règles font partie du Droit International Coutumier, et s’imposent aux groupes armés palestiniens.
L’article 48 du Premier Protocole indique que les belligérants sont tenus de «(…) ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires». Par conséquent, sont prohibées les attaques lancées délibérément contre les civils, ainsi que les attaques «indiscriminées» frappant indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou causant des dommages disproportionnés aux personnes civiles. Les attentats à l’explosif menés dans des lieux fréquentés par des civils (par exemple: autobus, restaurants, hôtels), sur lesquels Médecins du Monde a été amené à enquêter, constituent des violations particulièrement flagrantes de l’obligation de distinguer entre civils et combattants.
La présence éventuelle de militaires au sein de la population, comme par exemple dans les transports en commun ou dans des lieux ouverts au public, ne peut avoir pour effet de priver les personnes civiles de la protection générale dont elles doivent bénéficier, et ne peut par conséquent légitimer les attaques causant des pertes civiles.
Il n’appartient pas à Médecins du Monde de trancher le débat entourant la qualification juridique à donner au conflit opposant l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens. Quelle que soit la pertinence de ce débat et la qualification retenue (lutte de libération nationale, conflit armé international ou conflit armé interne), le Droit International Humanitaire et le Droit International Coutumier prohibent l’emploi de la terreur à l’encontre des civils. L’article 51-2 du Premier Protocole Additionnel aux Conventions de Genève interdit ainsi explicitement «les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile».
Si les violences en cours constituent un conflit armé au sens du Droit International Humanitaire, les attaques ayant intentionnellement frappé des civils décrites dans le présent rapport doivent être considérées comme des crimes de guerre. Aux termes du Statut de la Cour Pénale Internationale, adopté en 1998, sont en effet en particulier considérés comme crimes de guerre «le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités», de même que les «meurtres» et «homicides intentionnels».
Les attentats commis depuis octobre 2000 constituent des crimes contre l’humanité. Les crimes contre l’humanité ne sont pas forcément commis pendant un conflit armé et peuvent avoir été perpétrés en temps de paix ou en temps de guerre. Dans la définition retenue par le Statut de la Cour Pénale Internationale (9), les crimes contre l’humanité sont des actes tels que le «meurtre» ou d’autres actes inhumains «causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale», commis «dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile», et «en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque».
Les attentats et attaques contre des civils israéliens revêtent incontestablement un caractère systématique. Ils sont menés en application d’un objectif politique déclaré visant à tuer des civils et à semer la terreur dans la population israélienne dans son ensemble. Par voie de conséquence, ils revêtent un caractère généralisé.
Médecins du Monde, qui a enquêté sur le terrain et a qualifié de crimes de guerre ces violations des lois et coutumes de la guerre commises par l’armée israélienne lors de l’opération «Mur de protection» (10), rappelle enfin que la violence dirigée contre les civils israéliens ne peut se justifier par le comportement des forces armées israéliennes dans les Territoires occupés. Le Droit International Humanitaire prohibe en effet «les attaques dirigées à titre de représailles contre la population civile ou des personnes civiles» (11): les civils israéliens ne devraient donc en aucun cas être délibérément pris pour cible.
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Médecins du Monde constate que les civils sont les premières victimes du conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises victimes…
Notre dialogue, de longue date, avec Israéliens et Palestiniens nous a persuadés que chaque peuple a droit à un État autonome et souverain vivant dans la paix et la sécurité.
Médecins du Monde, de par sa légitimité de soignants de terrain et de son éthique de la responsabilité, s’efforce de restituer la réalité constatée lors de ses actions de soin en matière de Droit International des Droits de l’Homme et de Droit International Humanitaire. Ce constat de violations bilatérales nous incite à recommander fermement leur respect à tous les responsables politiques et militaires concernés.
Nous continuerons à travailler et à maintenir des liens entre les communautés médicales des deux côtés, en toutes circonstances. Si des programmes de Médecins du Monde existent déjà côté palestinien, d’autres sont en projet côté israélien. Tisser des liens avec nos partenaires médicaux renforce le dialogue et la compréhension mutuelle, les éléments indispensables pour établir une culture de paix.
Depuis quelques semaines, la situation politique et militaire évolue vers une application bilatérale de la «Feuille de Route». Les groupes armés palestiniens viennent de déclarer un arrêt des attaques armées de trois à six mois. L’armée israélienne s’est retirée de la Bande de Gaza en transférant la responsabilité du maintien de l’ordre aux forces de sécurité palestiniennes. L’Autorité palestinienne, par son premier ministre, est officiellement reconnue par le gouvernement israélien comme interlocuteur politique.
Cet espoir de paix, si ténu soit-il, semble renforcé par des actions de soutien des deux sociétés civiles: Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth, et Sari Nusseibeh, président de l’Université Al-Quds et ancien représentant de l’OLP à Jérusalem, viennent de lancer, le 18 juin dernier, la «Voix du Peuple» (12), un document qui a pour objectif de servir de base à un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens: «Les deux parties reconnaissent chacune les droits historiques de l’autre, concernant la même terre. Deux États pour deux peuples. Les deux parties déclarent que la Palestine constitue le seul État du peuple palestinien, et Israël le seul État du peuple juif.»
Médecins du Monde est persuadé que l’ancrage des forces de paix dans les sociétés civiles est supérieur à celui des minorités agissantes. Ce sont ces forces que nous devons valoriser et soutenir, afin de promouvoir une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.
1. Rapport Médecins du Monde - FIDH sur l’opération «Mur de Protection» à Naplouse, juillet 2002.
2. Nous avons consulté Alain Rey et Josette Rey-Debove, qui dirigent la rédaction du dictionnaire «Le Petit Robert», afin de valider le néologisme «démocide» pour nommer ce type d’attentat.
3. Communiqué du CICR, 10/05/02: le CICR condamne les attentats à la bombe contre les civils.
4. Voir article 3 commun des Conventions de Genève.
5. Le centre commercial situé au cœur de Tel Aviv.
6. Jerusalem Post, 12.11.2002, www.jpost.com, consulté le 12.11.2002.
7. Associated Press, le 26 août 2002.
8. Voir notamment le film de Charles Enderlin sur France 2, automne 2002.
9. Article 7 du Statut de la Cour Pénale Internationale.
10. Mission d’enquête conjointe FIDH - MdM, juillet 2002.
11. Article 51-6 du Premier Protocole Additionnel aux Conventions de Genève.
12. www.peacenow.org.il.