Afin d’avoir les mains libres pour détruire les installations nucléaires iraniennes, le Premier ministre israélien devrait d’abord accepter la formation d’un Etat palestinien.
PAR Yossi Melman
Si j’étais le conseiller à la Sécurité nationale du Premier ministre Nétanyahou, je lui recommanderais d’attaquer l’Iran. Pas forcément tout de suite. Bien que l’Iran vienne de franchir le “seuil technologique” et dispose désormais du savoir-faire, de l’équipement et des matières premières nécessaires pour produire une arme nucléaire, il lui faut encore au moins un an et peut-être même jusqu’à trois ans avant d’être prêt. De même, Israël devrait encore attendre, afin de ne pas contrecarrer la stratégie diplomatique privilégiée par le président Barack Obama, une stratégie vouée à l’échec.
Les questions décisives pour attaquer ou non l’Iran sont au nombre de cinq.
1) La possession de l’arme nucléaire par l’Iran constitue-t-elle une menace pour l’existence d’Israël ?
2) Israël dispose-t-il des capacités opérationnelles et de renseignements suffisantes pour frapper des installations nucléaires iraniennes ?
3) Quels dégâts une riposte iranienne infligerait-elle à Israël ?
4) Une attaque israélienne risque-t-elle de nuire aux intérêts américains ?
5) Comment le monde arabe réagirait-il à des frappes israéliennes ?
En tant que conseiller militaire, voici ce que je répondrais :
1) Il n’est pas sûr que la possession de l’arme nucléaire par l’Iran représente une réelle menace existentielle pour Israël, tandis que les Etats du Golfe et l’Egypte ont plus de raisons qu’Israël d’avoir peur. En outre, les ayatollahs savent qu’un recours à l’arme nucléaire n’entraînerait pas seulement l’anéantissement du pays attaqué, mais signifierait également la ruine de leur régime et la disparition de millions d’Iraniens. Pour autant, Israël est en droit d’avoir du mal à parier sur la rationalité des dirigeants iraniens.
2) Israël dispose du potentiel militaire nécessaire pour endommager sérieusement le programme nucléaire iranien et frapper ses centres de production. Une attaque israélienne retarderait de plusieurs années l’exécution de ce programme, à défaut de l’annihiler.
3) L’Iran dispose de 100 missiles capables d’atteindre Israël, et il peut à tout instant réactiver le Hezbollah et ses réseaux terroristes disséminés aux quatre coins de la planète. Mais, malgré ses progrès technologiques, l’Iran reste un pays arriéré qui ploie sous les problèmes. Bref, l’Iran n’est qu’un tigre de papier.
4) Une attaque non coordonnée avec Washington ne pourrait que provoquer une rupture avec les Etats-Unis et conduire à l’imposition de sanctions sévères contre Israël.
5) Le monde arabo-musulman ne pourrait que condamner Israël.
Bref, si l’on pèse le pour et le contre, attaquer l’Iran semble a priori un pari bien trop risqué pour les dirigeants israéliens, une opinion que partagent les chefs de file de l’administration Obama. Pourtant, une voix discordante s’est élevée au milieu de ce beau concert. Le politologue américain David Samuels vient de publier sur le site Internet du magazine Slate un article intitulé “Pourquoi Israël va bombarder l’Iran”. Pour lui, les arguments en faveur d’une attaque israélienne ne manquent pas : le statut particulier d’Israël aux Etats-Unis ne repose pas seulement sur des valeurs communes, l’attachement chrétien à la Terre sainte ou la mémoire de la Shoah, mais surtout sur le fait d’Israël soit perçu comme le seul gendarme à se battre contre les bandits de cet “Ouest sauvage” qu’est le Moyen-Orient.
Certes, admet David Samuels, cette perception a été écornée par les échecs militaires d’Israël face au Hezbollah [été 2006] et au Hamas [décembre 2008], tandis que l’Iran poursuit sa quête d’hégémonie sur le Moyen-Orient. De même, poursuit Samuels, même si une attaque israélienne pouvait servir les intérêts américains, l’administration Obama serait néanmoins obligée de faire comme si ces intérêts en avaient pâti. Un monde arabo-musulman furieux soupçonnerait toujours Washington d’avoir secrètement donné le feu vert à Israël. Pour calmer le monde arabo-musulman, les Etats-Unis devraient alors contraindre Israël à se retirer des Territoires [occupés] et à y permettre l’établissement d’un Etat palestinien. Dès lors, un bon conseiller israélien à la Sécurité nationale devrait dire à Nétanyahou de ne pas attendre d’être forcé de faire quelque chose dont il ne veut pas. Une attaque contre l’Iran ouvrira une fenêtre d’opportunité, non seulement en éliminant une menace nucléaire, mais aussi en rétablissant Israël dans sa position de superpuissance régionale et de pays imprévisible qui ne recule devant rien. Certes, même si une attaque israélienne sert les intérêts objectifs des Etats-Unis, de l’Occident et du monde arabe, peu d’entre eux le reconnaîtront et préféreront nous mettre au ban. En d’autres termes, nous contenter d’une attaque israélienne, même couronnée de succès, ne peut que nuire à nos intérêts nationaux.
Dès lors, le gouvernement israélien ferait bien de réaliser préalablement une percée historique en acceptant la création d’un Etat palestinien indépendant. Non seulement les Etats-Unis et les Etats arabes sunnites accepteront alors une attaque contre leur ennemi chiite, mais ils l’applaudiront, rendant ainsi possible la conclusion d’accords de paix avec tous les Etats arabes.