Le tramway de Jérusalem enchante le "business" et gêne le Quai d'Orsay
LE MONDE | 04.11.05
Les diplomates français en poste à Tel-Aviv et Jérusalem ont reçu pour consigne de ne pas évoquer le sujet. Les porte-parole du Quai d'Orsay confient sur le même ton embarrassé qu'ils n'ont pour l'instant "pas de réponse officielle". En quelques semaines, la question du tramway de Jérusalem est devenue l'une des patates chaudes du ministère des affaires étrangères.
La polémique, née début octobre, tient à la présence de deux sociétés hexagonales, Alstom et Connex, dans le consortium nommé City Pass qui s'apprête à bâtir ce nouveau réseau de transport. La première ligne, longue de 13 km, reliera le centre-ville à deux quartiers de colonisation, Pisgat Ze'ev et French Hill, bâtis au début des années 1970 sur des terres confisquées aux Palestiniens de Jérusalem et dont l'annexion par Israël n'a jamais été reconnue par la communauté internationale.
Découvrant ce tracé, Nasser Al-Qidwa, le ministre des affaires étrangères palestinien, avait fait part de sa "vive préoccupation" aux autorités françaises. Les dirigeants palestiniens redoutent que ce projet consolide la présence juive dans la partie arabe de la ville sainte et qu'à ce titre, il contribue à la politique du gouvernement israélien consistant à les empêcher d'y établir la capitale de leur futur Etat. "N'est-ce pas formidablement hypocrite de nous demander de nous réformer et de venir en même temps faire de sales affaires chez nous ?" , tempête un collaborateur de Nasser Al-Qidwa.
Ce désaccord avait été soulevé lors de la visite du président palestinien, Mahmoud Abbas, à Paris, le 17 octobre. A cette occasion, Jacques Chirac avait promis à son homologue de se pencher sur le sujet. Depuis, le silence est total. "Ce n'est pas simple, dit un bon connaisseur du dossier côté français. La dimension symbolique de l'affaire ne nous échappe pas. On ne souhaite évidemment pas préjuger du statut de Jérusalem. Mais, par ailleurs, l'éventualité d'une intervention pose problème par rapport aux notions de libre concurrence et d'accès aux marchés. On est pris entre deux principes."
"TRANSFERT DE POPULATION"
C'est en 2002, en pleine période de désamour franco-israélien, que City Pass avait remporté l'appel d'offres public. Sa victoire sur l'allemand Siemens, lui offrait un contrat de 400 millions d'euros et une option de facto sur un autre marché encore plus prometteur, celui du métro-tramway de Tel-Aviv estimé à au moins un milliard d'euros. Un très bon point pour l'export tricolore que Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, n'avait pas manqué de vanter lors de son passage à Jérusalem en mars dernier.
Le 17 juillet, l'ambassadeur de France à Tel-Aviv, Gérard Araud, avait même assisté à la signature officielle du contrat dans les bureaux du premier ministre israélien, Ariel Sharon, quelques jours avant que celui-ci ne scelle à l'Elysée la réconciliation de l'Etat hébreu avec la France.
Ce télescopage de la diplomatie et des affaires ne trouble pas le ministère des affaires étrangères. Ses porte-parole assurent que City Pass n'a bénéficié d'aucune aide particulière de la France. Selon les juristes du Quai, le fait qu'Alstom et Connex soient des sociétés privées met le gouvernement français hors de cause et lui ôte tout moyen d'action. C'est sur ce point précis que l'Autorité palestinienne diverge.
"Lorsque la Cour Internationale de justice de La Haye a statué sur le mur en 2004, elle a rappelé que les signataires de la Convention de Genève ont l'obligation de la faire respecter, dit un familier du dossier. Or l'une de ses clauses interdit à tout Etat de transférer une partie de sa population sur un territoire qu'il occupe. La France a donc le devoir d'arrêter une entreprise qui s'apprête à faciliter ce processus de transfert. Ce n'est pas parce que ces colonies existent depuis des dizaines d'années que le business doit l'emporter sur le droit."
Pour l'instant, il n'y a pas eu de réponses à ces questions. Aucune intervention du Quai d'Orsay ni de clarification de l'ambassade. L'Autorité palestinienne redoute que la diplomatie française fasse le gros dos en attendant que la polémique s'essouffle. (Intérim.)