ISRAËL INDEPENDANCE - LE GRAND TEMOIN : SAM EKCHED, L'UN DE CES HEROS ANONYMES QUI ONT CONTRIBUE A LA CREATION DE L'ETAT D'ISRAËL.
...à minuit, les yeux bandés, j’ai été conduit dans un lieu secret. Là, j’ai prêté serment de fidélité et d’obéissance sur une bible hébraïque…
ISRAËL-FÊTE DE L’INDEPENDANCE-POUR UN 61EME ANNIVERSAIRE.
quand on lit cette histoire qui figure dans le film exodus !!on se prend a rever !! mais la veritee est plus cruelle helas !!
SAM EKCHED,
L’UN DE CES HEROS ANONYMES QUI ONT CONTRIBUE A LA CREATION DE L’ETAT D’ISRAËL : ” Je n’ai pas supporté l’accord Adenauer-Ben Gourion sur les réparations allemandes, appelé dans cette langue ” wiedergutmachung”.
L’Histoire d’Israël est tissée de milliers de récits anonymes, d’engagement de ces ” sans visage” qui peuplent le monde souterrain de la mythologie grecque. Héros sans gloire, dont le seul salaire fut le sentiment d’avoir contribué à réaliser l’impossible, d’être une part, même infime, d’un miracle volé au ciel. C’est particulièrement vrai pour ces juifs de tous pays qui ont, un jour, décidé de s’embarquer pour la Palestine mandataire, s’enrôler sous un drapeau bleu et blanc marqué de deux triangles enlacés, se coltiner avec les anglais, les arabes, les allemands, entre-eux même, en un mot jouer aux accoucheurs d’un Etat. Tous ne sont pas restés.
Sam Eched fut l’un de ces aventuriers de l’improbable. Samuel Kapelovitz, en fait, né en mai 1922 à Bruxelles. Mais belge depuis 1965. Marié, père de trois enfants et six fois grand-père. Un père hongrois, Eliezer Louis, industriel, fondateur du ” Roi du caoutchouc-Excellent Raincot”, plus ou moins pratiquant, attiré par la kabbale comme son père, président des Sionistes libéraux de 1930 à la guerre. Eliezer Louis envoie cependant son fils étudier dans un ” Heder”, sorte de maternelle talmudique. Puis, sous l’influence de sa mère – Sarah née Grossvogel à Strasbourg, l’une des rares femmes juives de ce temps à avoir étudié littérature et philosophie à l’université, le voici inscrit à l’école primaire communale ” Edith Cavell” à Uccle.
Sam Eched : ” Depuis lors, il avait coutume de m’amener, une fois par mois, au cimetière juif d’Anderlecht, me désignant les nouvelles tombes de juifs importants et pointant son doigt vers le soleil, me disait : Tu vois, Zemele (diminutif de Samy en yiddish), ils se croyaient tous indispensables et pourtant le monde continue à tourner. Et surtout, fils, n’oublie jamais que ton dernier costume n’aura pas de poches.”
Mais, pour les juifs d’Europe, le temps devient grinçant. Les nazis occupent le haut du pavé en Allemagne. Leurs sympathisants donnent de la voix ailleurs. En Belgique, Staff Declercq côté flamand et Léon Degrelle en Wallonie mènent des campagnes anti-juives verbales, qui virent parfois à la violence physique. A l’école communale de Sam, par exemple, accompagné des cris ” Sale juif, retourne en Palestine.”
Sam Eched : C’est cette virulence, cette hostilité dans ce lieu de culture qui me permirent, après de longs palabres de convaincre mon père de me laisser partir pour Eretz Hakodesh, la Terre sainte. En février 1993, il m’a déposé sur le pont du “Champollion” des Messageries Maritimes, à Marseille, en me disant, en yiddish : ” Ty voust dy wilst, gay vou dy wilst, habby dy bleist a mensch!...”, je traduis : …fais ce que tu veux, va où tu veux, mais reste toujours un Homme.”
Eliezer Louis n’a pas laissé son fils plonger, sans bouée de secours, à savoir le confier aux bons soins du Grand Rabbin de Tel-Aviv et ex-Grand Rabbin d’Anvers, Avigdor Amiel, beau-père de l’oncle René Capel, le futur rabbin combattant des FFI du Vercors. Et c’est un émissaire du Grand-Rabbin qui, le 25 février 1933, récupère le jeune Sam au port de Jaffa. Logé au domicile de l’autorité religieuse numéro un de la jeune et laïque cité du bord de mer, il est inscrit au lycée Moriah, institution du mouvement sioniste religieux Mizrahi, et au Bnei-Aquiva, le mouvement de jeunesse de ce mouvement. Son passage à la majorité religieuse, sa bar-mitsva, se déroulera dans la synagogue de la rue Ehad Ha’am, le 11 mai 1935.
Sam Eched : Le soir de la cérémonie, en me déshabillant, je trouve une poche une convocation de la Haganah, l’armée de défense clandestine. Et dans l’autre, une convocation de l’ETZEL, l’Irgoun Tzvaï Leumi, le mouvement de défense clandestine de droite, né d’une scission avec la Haganah en 1932. Mon choix a été rapide : par principe et affinité, j’ai opté pour la gauche, donc la Haganah. Quelques jours plus tard, à minuit, les yeux bandés, j’ai été conduit dans un lieu secret. Là, j’ai prêté serment de fidélité et d’obéissance sur une bible hébraïque, posée sur l’étoile de David du drapeau bleu et blanc. J’y ai reçu alors mon nom de code : Habelgi, le belge, ainsi que la bible sur laquelle j’avais prêté serment et un révolver Beretta de 9mm, sans cartouches… Celles-ci m’ont été remises au terme d’un long entraînement au maniement d’armes diverses, et plusieurs soirées dans un stand de tir secret, à quelques 50 mètres sous terre, pour ne pas éveiller les soupçons des britanniques d’un côté et des arabes de l’autre. Etant donné que la plupart des entraînements sur le terrain se déroulaient le samedi, je me suis éloigné de la pratique religieuse, et j’ai rejoint le mouvement de jeunesse du Mapaï, le parti travailliste dirigé par Ben-Gourion. En 1936, avec l’approbation de mon père, je me suis inscrit à l’Institut supérieur d’Agronomie, Mikvé Israël, fondé par l’Alliance Israélite Universelle. C’était aussi une base secrète de la Haganah.
MBA : C’était une période des plus troublées. L’idée du Foyer national juif se heurtait à l’extrémisme religieux musulman, impulsé par le Muphti de Jérusalem.
Sam Eched : Les choses n’étaient pas simples. C’est vrai que les extrémistes musulmans fomentaient des troubles, attaquaient des localités juives, se livraient à des pogroms. Mais, par ailleurs, nous entretenions de bons rapports
avec des jeunes palestiniens. Tenez, au cours de l’été 1939, nous étions venus avec mon groupe en stage à Névé Eytan, dans la vallée de Beit-Shean, non loin du Jourdain. En été, le thermomètre va titiller les 50 degrés et les nuits sont insupportables. Comme je suis un idéaliste, un peu rêveur, pèlerin de l’absolu, j’avais choisi le job de gardien des champs, ce qui me permettait de m’isoler, de rêvasser, de réfléchir… Je m’étais alors affilié au petit mouvement d’Oury Avnery, un journaliste et écrivain, l’un des pionniers par la suite d’un dialogue israélo-palestinien.
Je m’étais aussi lié d’amitié avec un jeune berger bédouin, Ali, fils du Cheikh Mohamed, de la tribu des Abou-Zanati. Il m’apprit à jouer du pipeau et moi je lui enseignai à jouer de l’harmonica. Un soir, alors que J’étais de garde au pied de la seule source d’eau douce de la vallée, juste à l’extérieur de Beit-Shean, habitée à l’époque uniquement par des arabes, me parvint la voix d’Ali qui demandait à se réfugier près de moi. Avant qu’il n’ait pu m’expliquer ce qui se tramait qu’une bande de pillards, commandée par Gilda et Faouzi el Kaougkgi, surgissait et tentait de le kidnapper pour obtenir une rançon de son père. Une voix hurlait : Jahoud, Jahoud (juif, juif), livre-nous ce chien! J’ai tiré un coup de feu en l’air, pour leur signifier que j’étais armé. Pour une bagarre, ce fut une belle bagarre. Au petit matin, ils décampèrent. Je raccompagnais Ali jusqu’aux abords de son camp, et allais me coucher.
J’avais l’impression de n’avoir dormi que quelques instants sous la tente, quand je fus réveillé par l’un du groupe, qui m’annonça de la visite. Le Cheikh Mohamed m’attendait, accompagné de tous ses fils, accroupis en cercle devant ma tente. Après le cérémonial des salutations d’usage, et la circulation de petites tasses de café noir, apportées entre-temps par un membre du kibboutz, Le Cheikh m’offrit son fils, car sa vie dorénavant m’appartenait. Mes camarades et moi eurent les pires difficultés pour lui faire admettre l’impossibilité de la chose. Pour finir, afin ne pas l’offenser à mort, je l’ai prié de m’accepter comme fils adoptif. Ce qui, rétroactivement, me faisait obligation de défendre Ali, mon frère. La cérémonie eu lieu le lendemain. Penchés au-dessus de la carcasse d’un mouton, nous fumes piqués dans la veine du bras gauche, avec la pointe du poignard d’honneur, en or, du Cheikh. Nous nous agrippâmes les bras, mains serrées sur l’avant-bras, de façon à mélanger nos sangs, dont les gouttes tombaient sur les braises et la carcasse du mouton. Quelle journée. J’eu droit à une fantasia car, par extension, j’étais devenu frère de tous les membres de cette puissante tribu.
J’avais fière allure à 17 ans, caracolant dans la vallée sur une selle d’apparat, cheval harnaché à la bédouine, moi-même coiffé de la Kéfié et l’Akal (châle et cerceaux) aux couleurs de la tribu, la Shabria (poignard d’honneur) à la ceinture, salué avec déférence par les Arabes et bédouins rencontrés, pas tellement, je crois, pour le soit disant exploit, devenu légendaire grâce à l’imagination arabe, mais pour la puissance des Abou Zanati, Cheik Mohamed, fut assassiné en 1942 par les sbires du Mufti de Jérusalem, pour ses amitiés avec les Juifs.
Le déclenchement de la deuxième guerre mondiale contraignit les dirigeants du Ychouv juif en Palestine à se positionner face à une nouvelle donne. En février 1939 en effet, à Londres, la Conférence pour la paix convoquée par la Grande Bretagne s’était soldée par un échec. Pour résoudre un conflit somme toute locale, les britanniques avaient choisi de lui donner une dimension régionale, invitant les représentants des pays arabes avoisinants. A la demande des représentants arabes, Les deux délégations, juive et arabe, siégeaient dans des pièces distinctes. Les échanges étaient assurés par des commis. A l’arrivée, donc, l’impasse totale. La Grande-Bretagne se rangea alors à l’avis des arabes, publiant un troisième Livre blanc qui, de fait, sonnait le glas de la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917. Le rêve d’un Etat juif était renvoyé aux calendes. Ben-Gourion décida alors de ” lutter avec les anglais comme s’il n’y avait pas de Livre blanc et contre les anglais comme s’il n’y avait pas de guerre.” Le leader de l’Irgoun, David Raziel se rangea à l’avis de Ben-Gourion, provoquant ainsi une scission au sein de son mouvement. Le Ychouv se mobilisa pour soutenir l’effort de guerre contre le régime nazi. Les pays arabes choisirent l’Allemagne, le muphti de Jérusalem rejoignant même Hitler. Sam Eched, lui, se retrouva, sur ordre, embrigadé dans l’armée britannique.
Sam Eched : Je me suis retrouvé le 18 mai 1940, au matin, 5 jours après mon 18ème anniversaire, à SARAFAND, base militaire du pouvoir mandataire en Palestine ou je reçus le n° de matricule 1390 PAL, pour Palestinian. Je fus affecté au Royal Army Service Corps, Middle East Command, comme chauffeur. Pendant la période d’entraînement de base, mon Sergent-major anglais, un ex Regular Army of India, ayant constaté ma connaissance des armes, lui ayant débloqué, par impatience, sa mitrailleuse Bren-Gun bloquée, m’a regardé droit dans les yeux, et lâché : ” Haganah boy, hé!”
Le soir même, je fus convoqué chez le Colonel, commandant de la base.
13. Au garde-à-vous, je salue et suivant le Kings Régulations, je me présente militairement : ... PAL 1390 ! ... Driver SAMUEL KAPELOVITZ! ... At your orders! ... SIR! ...
Il me regarde longuement, ouvre un tiroir, en sort ce que nous appelons vulgairement aujourd’hui 2 Sardines (Stripes) et dit: Take this Corporal Kapelovitz, and….. Good luck!
Bon voyage! Et quel voyage. Au début, les Britanniques pratiquèrent une politique discriminatoire à l’égard de ces volontaires juifs, les cantonnant dans un secteur réservé dans la base : for native only, refusant de les enrôler dans des régiments distincts, afin de ne pas irriter les musulmans de la région…Mais quand l’Afrika Corps du général Rommel s’approcha d’Alexandrie, conjugué à une grève de la faim de trois jours de tous les volontaires juifs, la puissance mandataire vira sa cuti. Des unités combattantes juives furent créées, avec des officiers bien à elles, bannières bleu-blanc déployées et sur les épaulettes la mention Palestine en anglais, suivie des lettres aleph et Yod pour “Eretz-Israël”, la terre d’Israël. Habelgi sera de tous les coups: Kabri, au nord de la ville de Suez, Tobrouk, Benghazi, la retraite de Lybie, Bir Hakim, El Alamein. Le voici volontaire, avec d’autres membres de son régiment parlant allemand, pour les ” Long Range Desert Patrols”. Et sergent-major!
Sam Eched : Pendant plusieurs mois, sous silence radio absolu, radio qui ne nous servait que pour recevoir, à heures fixes, nos instructions. Nous évoluons dans le désert, sur 4 jeeps armées de 3 mitrailleuses Bren, des pains d’explosifs, ainsi que de l’eau et des provisions nous permettant une autonomie de plusieurs semaines. Nous avons ainsi fait sauter, des dépôts de carburants et de munitions, par des actions ‘‘ HIT & RUN ‘‘ derrière les lignes allemandes. De temps en temps, des vivres, des munitions et de nouvelles cartes, nous était apporté par un petit avion de reconnaissance, un Lysandre lourdement chargé. Et celà nous a valu d’être “Mentionned in Dispaches, General Orders part One, Middle East Command, for Gallantry in action.” Notre unité, la 462GT ou Yael ( Ye’Khida Ivrit Lehovalah ) n°462 , fut expédiée le 28 avril 1943, en renfort pour Malte, en un convoi de 80 bateaux. Le nôtre, l’ERIMPOURA, fut coulé le 1 mai 1943, en moins de 3 minutes, à 20,00 h, à 35 miles au Nord de Bengazi et à 50 miles de Malte, par une attaque de 35 Stukas. Qui revinrent nous mitrailler dans l’eau. Des 4.500 soldats, de nationalités diverses transportés, nous nous retrouvâmes 248 survivants. Un grand mémorial, sous forme de proue de bateau, se trouve au cimetière militaire du mont Herzel, à Jérusalem. Les noms des camarades morts se trouvent gravés sur 140 plaques, sous 30 centimètres d’eau. Après un congé de récupération de 6 semaines, passées au kibboutz en Palestine, notre régiment fût réorganisé, recevant des nouveaux soldats aguerris venant d’autres régiments juif palestiniens. Après un trop court entraînement, nous avons pris la mer, pour être débarqués, le 8 septembre 1943, au sud de Salerno, en Italie.
La campagne d’Italie! Détaché à la 5ème Armée américaine, Sam Eched ira de Naples à Turin, en passant par Monte-Cassino, Rome, Bologne, Florence, Milan. Et c’est à Turin que, le 8 mai 1945, il fêtera la fin de la guerre, mais non de l’aventure.
Sam Eched : En Italie, tout comme nous l’avions fait en Afrique du Nord, nous avons combattu avec l’armée britannique et l’armée américaine, mais et en même temps, la nuit assurer l’immigration illégale des juifs vers la Palestine mandataire. D’abord par le port de Brindisi, puis d’autres petits ports de pêche et enfin par La Spezia. Pour gagner des places sur ces petits rafiots, nous avions trouvé un système très efficace et très simple en même temps. Quand nous trouvions des jeunes ou des hommes pas trop bêtes, nous les habillions en soldats britanniques, avec nos insignes et, après leur avoir enseigné un rudiment du drill en vigueur dans l’armée britannique. Nous leur fournissions, des Soldiers Book, (qui dans l’armée britannique était sans photo) un ordre de départ en congé ou en convalescence et un passe tout ce qu’il y à de plus légal.
Car en Afrique du Nord, puis en Italie, l’imprimerie militaire de la 8é armée était entre les mains d’une unité juive, ... donc, … nous possédions tous les formulaires, les cachets et les mots de passe en usage à tout moment. Nos réfugiés, candidat émigrants illégaux, devenus soldats en uniforme, avaient comme instruction stricte d’obéir aux ordres, de se taire ou de répondre aux officiers ou sous-officiers rencontrés : ... ME NO ENGLISH, ME PALESTINIAN, pour expliquer leur manque de compréhension de la langue anglaise. Nos faux soldats, étaient attendus à Haïfa, par la HAGANAH qui les ventilait vers différents kibboutz. Après la reddition des troupes allemandes en août 44 en Italie et puis au fur et à mesure de la libération du reste de l’Europe, sur ordre de la Haganah, nous avons accepté de continuer à servir, … Après l’Italie, nous avons convoyé des convois de camions vers l’Autriche, vers l’Allemagne, et même au-delà des frontières de l’Est, car avec des bakchichs, l’on passait n’importe quelle frontière, surtout celle des Russes.
En accord avec la Haganah, Sam Eched demande sa démobilisation de l’armée britannique, qu’il obtient le 6 mars 1946. A son retour, il rejoint le kibboutz Givot Zaïd, fondé à la mémoire d’Alexandre Zaïd, figure légendaire du mouvement pionnier, père de trois de ses camarades d’études à Mikvé Israël. Un lieu de pèlerinage pour la gauche. Il y côtoiera les Ben-Gourion, Ygal Alon, Ytzhak Rabin, Shimon Peres, Ytzhak Sadeh, Moshé Dayan, Hana Robina… Le 27 novembre 1947, l’ONU vote le partage de la Palestine mandataire. Une décision acceptée par les délégués du Ychouv, refusée par les Etats arabes. Habelgi est appelé à reprendre du service.
Sam Eched : Le lendemain de la déclaration de l’ONU, je me battais déjà à Deganiah et à Tibériade contre les Syriens, commandés entre autres par ma vielle connaissance de 1939, le bandit Abou-Gilda. Et quelques semaines plus tard, à Tirat-Zvi et à Ladjoun, contre cette autre connaissance, Faouzi-El-Kaoudji, devenu entre-temps général de l’armée iraquienne. Puis, au début du printemps 1948, je me suis retrouvé face aux jordaniens à Latroun et sur la route dite “Burma Road”, construite à la hâte pour permettre de ravitailler Jérusalem assiégée. Quelque temps plus tard, juste avant la 2ème trêve, sous le commandement de mon ami et ex-membre des Long Range Desert Patrols, Yohanan Zaïd, membre de mon kibboutz, j’étais engagé dans une unité spéciale de jeeps, les Shoualéh Shimshon, les renards de Samson, équipées de mitrailleuses lourdes allemandes, des MG38, fournies avec d’autres armes par le juif tchèque Slansky, envoi qu’il a payé de sa vie. Rappelez-vous les fameux procès anti-juif de l’époque. Nous harcelions les unités égyptiennes, en route vers Tel-Aviv et Jérusalem.
En 1950 j’ai vécu un événement qui m’a marqué à jamais : l’arrivée en Israël, d’une urne, contenant un mélange de cendres, collectés dans les différents camps d’extermination d’Europe. Une petite partie des cendres de ces millions de victimes du nazisme, dont 300 membres de ma propre famille. Cette urne a presque fait le tour de tous les kibboutzim et mochavim, de tous les villages et toutes les villes d’Israël. Une année plus tard, à ma demande, j’ai été rendu à la vie civile. J’ai retrouvé le travail des champs, dans mon kibboutz.
MBA : Mais en 1954, vous êtes retourné en Belgique. Pourquoi?
Sam Eched : Je n’ai pas supporté l’accord Adenauer-Ben Gourion sur les réparations allemandes, appelé dans cette langue ” wiedergutmachung”. Comme s’il était possible de dédommager quiconque a vécu un tel cauchemar, quiconque qui a perdu des siens dans la Shoah. La vue du matériel allemand, arrivant en masse, m’a révolté. L’accord était, peut-être justifié, mais il s’est fait contre l’avis de presque toute ma génération. Je n’ai pas rompu. Israël a été et demeurera à jamais mon pays.
MBA : Quel est, dans cette valise de souvenirs que vous traînez depuis avec vous, le moment qui vous a le plus marqué?
Sam Eched : Deux, si vous le permettez, tous les deux en avril 1937. Le premier fut ma première rencontre avec la mort, brutalement, sans filtre. A Mikvé Israël, en raison des troubles, l’école d’agronomie était protégée par trois miradors qui couvraient l’un le village arabe de Yazur, l’autre celui de Salameh et le troisième la ville de Jaffa. Avec un camarade, nous étions de garde au sommet d’un des miradors. Mon compagnon alluma une cigarette. Un coup de feu claqua. Mon camarade s’écroula. Il avait reçu une balle dans la tête. A son enterrement, le lendemain, l’un des élèves a joué la sonate ” Clair de lune” de Beethoven. Depuis, à chaque audition de cette sonate, les images affluent…
Le 2ème fut le concert inaugural de l’Orchestre philarmonique d’Israël, donné à l’autre bout de Tel-Aviv, dans un énorme hangar, au lieu dit ” Ganei Hata’aroukha. Au pupitre : Arturo Toscanini et en soliste le violoniste Bronislaw Huberman. Après l’Hatikva, qui deviendra l’hymne national de l’Etat d’Israël et le God Save the King, nous avons eu droit à la Symphonie du Nouveau monde de Dvorak, au concerto pour violon et orchestre de Beethoven et, suite aux vivats, au concerto pour violon et orchestre de Paganini. Notre marche de 24 kms, aller et retour, en s’exposant deux fois aux tireurs arabes embusqués dans la mosquée d’Abou-Kabir, en avait vraiment valu la peine. Sublime. Ce fut tout simplement sublime.