C'est pourquoi la parution de cet ouvrage coordonné par Nathan Weinstock est la bienvenue. Elle nous rappelle, fort opportunément la tradition parfois oubliée des « Pourimspielen », ces « Jeux de Pourim » qui ont agrémenté, au cours des siècles, en Europe, la célébration de la victoire de la reine Esther alias Hadassa et de son parent, Mardochée, sur l'infâme Haman, qui avait envisagé un génocide des Juifs dans le royaume du souverain perse Assuérus alors qu'il régnait sur quelque 127 provinces.
Le récit traditionnel de la Meguilla fait partie du canon de la Bible hébraïque. Il est connu de tous malgré le côté « caché » que sous-entend le nom même d'Esther, à la fois myrte et secret. Mais l'analyse fouillée qui nous est proposée permet d'aller plus avant dans la compréhension de ce texte que l'historienne et philologue belge, Claire Préaux, considère comme « un roman significatif des tensions de son temps ». Sans oublier qu'au cours des siècles, d'autres « Pourims » se sont ajoutés à l'original.
Ainsi, les Juifs de Tunis célébraient, dans le temps, le 24 tevet, un « Pourim des Neiges »qui rappelait qu'une forte tempête de neige dévastatrice pour la capitale tunisienne, avait évité la Hara, le quartier juif de Tunis. À Padoue, en Italie, on célèbre le « Pourim de Padoue » ( 11 sivan) en mémoire de l'incendie monstre de 1795 qui avait miraculeusement épargné le quartier juif. Même chose à Florence, le 27 sivan, en souvenir d'une émeute antisémite jugulée grâce à l'intervention d'un évêque éclairé. En Avignon, on célébrait, le 24 tammouz, un pourim spécifique à la ville. Le « Pourim de Bagdad », du 11 av, rappelle la victoire des Arabes sur les Perses ( Comme quoi il fut un temps où les Arabes étaient considérés comme des libérateurs par les Juifs!). Le « Pourim de Kovno » (7 adar ) rappelle, lui, l'action du roi Poniatowski en faveur des Juifs de Lituanie.
En Algérie, ce sont même deux « Pourims d'Alger » qui étaient célébrés. L'un, le 4 hechvan, rappelait l'échec, en 1541, de Charles Quint, dans sa tentative de conquérir la ville et l'autre, le 11 tammouz, se référait à l'assaut infructueux, en 1775, du comte O'Reilly, dans son projet de conquête d'Alger. Dans ce panorama international des « Pourims d'autrefois », le Maroc détient un véritable record avec cinq célébrations répertoriées. Ainsi, à Casablanca, on célébrait le « Pourim d'Hitler » ( 2 kislev), qui rappelle que la ville fut sauvée de l'invasion allemande grâce au débarquement allié du 8 novembre 1942. À Tanger comme à Tétouan, on commémorait, le 6 du mois d'elloul le « Pourim de los Cristianos » en souvenir de la bataille dite des trois rois. À Fès, le « Pourim del kor » rappelle la révolte de la tribu des Oudayas qui, en 1841, pour échapper à Moulay Abderahman, s'est réfugiée dans le mellah, le quartier juif de la ville. À Tanger, le 21 av, se fêtait le « Pourim de las bombas » en souvenir du bombardement de la ville par la flotte française lors de la conquête de l'Algérie et, le 13 adar, à Meknès, c'était le « Pourim del Megaz » en souvenir du soulèvement de Filali El Megaz contre le sultan qui envisageait le pillage du mellah.
Quelques uns de ces Pourims d'antan sont signalés par Nathan Weinstock comme le « Pourim de Narbonne » qui rappelle le sauvetage es Juifs, en 1236 par le gouverneur Don Aymeric, le « Pourim de Medziboz », qui commémore le fait qu'en 1649 la communauté juive échappa miraculeusement aux hordes des cosaques sanguinaires de Chmielnicki ou encore le « Pourim de Fettmilch » ( 19 et 20 adar) qui rappelle le pogrome organisé à Francfort en 1614 par un boulanger.
La présentation occupe environ la moitié de l'ouvrage. La seconde partie est une véritable découverte car c'est rien moins que la traduction en français du plus ancien texte de « Pourim-Spiel » connu qui nous est proposée. Le manuscrit de ce « Beau récit de Pourim : le jeu d'Assuérus » est actuellement conservé à la bibliothèque municipale de Leipzig. Composé de 1411 vers rimés, il fut copié en 1897 à l'intention d'un pasteur, Johann Christof Wagenseil, éminent hébraïsant allemand, par un Juif converti de Cracovie, Moshé Cohen alias Johann Christian Jacob.
Mêlant des éléments du récit biblique à des ajouts extérieurs, utilisant habilement les jeux de mots, cette farce carnavalesque se distingue par une vulgarité et une obscénité inhabituels dans un texte d'inspiration juive. Le final est à l'image du texte : « À présent nous souhaitons en finir : il nous faut de l'argent pour boire du vin. Si nous le faisons, nous pourrons atteindre la Terre Sainte. Amen ! ». On le voit, comme tous les forains et les romanichels, les acteurs de ce théâtre ambulant terminaient par une quête qui leur permettait d'aller boire un bon coup. À découvrir !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Avant-Propos. 2016. Traduit, présenté et annoté par Nathan Weinstock. Contribution de Micheline Weintstock. 160 pages. 17,95 euros
Source: CRIF
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