Ferhat MEHENNI, chanteur et porte-parole du Mouvement pour l’Autonome de la Kabylie exposait ce vendredi 27 mai dans l’hémicycle de l’assemblée nationale française les risques majeurs d’une guerre civile en Algérie lorsque l’Etat est amené à faire croire "à l’Algérien moyen que les Kabyles seraient de nouveaux Juifs et la Kabylie un autre Israël".
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Israël : Cheval de Troie ou bouc émissaire ?
Pour les Algériens, en général, Israël est, à coup sûr, le mal absolu érigé en Etat. Pour le commun d’entre eux, il est l’émanation la plus perfide des Chrétiens et de l’Occident, leur poste avancé dans la région, pour détruire l’islam et le « monde arabe ».
Par conséquent, la guerre contre lui serait légitime et pourrait être considérée comme une guerre sainte dont la finalité qui est sa destruction, devrait aussi s’accompagner de l’extermination des Juifs.
Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des individus regrettant qu’Hitler, en son temps, n’ait pu aller au bout de ses horribles projections. Les principaux responsables de cet Etat de fait ne sont autres que les plus hauts dirigeants du pays qui, depuis des décennies font du matraquage médiatique contre Israël une préoccupation de tous les instants.
C’était, je me souviens, à l’occasion de la guerre des six jours (juin 1967) que Boumediene, en expédiant au Moyen Orient un contingent d’élite de l’armée algérienne composé presque exclusivement de Kabyles qu’il aimait tant envoyer au charbon, avait déclaré : « Nous sommes avec la Palestine, qu’elle ait tort ou raison ! ». La messe était dite.
A partir de cette date, les propos officiels diffusés par les médias contre Israël étaient d’autant plus redoutables qu’ils ne souffraient d’aucun contre discours à même d’en tempérer la teneur chez nos compatriotes. C’étaient des incitations quotidiennes à la haine des Juifs, assimilés collectivement à « l’entité sioniste », expression par laquelle était désigné Israël dont l’Algérie ne reconnaît toujours pas l’existence et qu’elle accuse de tous les maux sur la terre.
Le parti unique était l’opinion unique. Sans être « psy », chacun peut deviner les ravages que de tels messages peuvent générer comme réflexes et attitudes négatives chez les individus et les groupes qui leur étaient soumis.
Malgré cela, une frange de la société, particulièrement la Kabylie, et quelques rares élites refusaient d’en être victimes.
En effet, au lendemain de l’inattendue poignée de main à Rabat entre Ehud Barak et Bouteflika, derrière le cercueil du roi Hassan II, des journalistes d’Alger décidèrent de se rendre en septembre 1999 en Israël. Ils voulurent dédramatiser le contact avec ce pays et ouvrir la voie à une relation d’Etat à Etat. L’initiative tourna court. Ce fut un tollé général dans les médias publics et arabophones et jusqu’à la présidence de la République qui les accusèrent de « haute trahison » suite à ce voyage chez « l’ennemi ».
En septembre 2003, en acceptant une invitation de m’exprimer sur un plateau de TFJ, pourtant télévision française, j’avais reçu de nombreuses menaces de mort. Comme vous le constatez, je suis toujours vivant. Hélas ! Ce n’est plus le cas pour mon fils aîné qui a été assassiné le 19 juin 2004 à Paris (lire l’article de Guy Millière)
En cultivant la haine du Juif en Algérie, l’Etat est parvenu à y instaurer un terrorisme politique et intellectuel qu’il est encore très dangereux de braver. Quant à la Kabylie qui est opprimée au nom de l’arabo-islamisme, elle espérait en vain depuis longtemps un regard, une compassion de la part de la communauté internationale, Israël compris, pour aller de l’avant, défendre ses droits démocratiques et ses enfants. De ce fait, elle n’hésite pas, souvent par défi au régime en place, à exprimer dans la rue son soutien à l’Etat hébreu.
Le 22/12/01, lors d’une manifestation à Tizi-Ouzou, l’une des capitales de la Kabylie, j’étais le témoin privilégié d’un événement que je croyais jusque là impossible. Lors d’une marche de protestation contre l’arrestation de quelques délégués populaires kabyles, un très grand carré de jeunes manifestants qui se faisait filmer devant l’hôpital de la ville, scandait en arabe, d’une seule voix : « Djich, chaab, maa-k a Sharon ! », c’est-à-dire, « l’armée et le peuple sont avec toi Sharon ! ».
Dans un pays dit arabo-musulman, c’était plutôt osé. Ce n’était là, bien sûr, que la monnaie de la pièce rendue au parlement algérien qui, quelques jours auparavant, avait observé une minute de silence à la mémoire du jeune palestinien tué par une balle perdue de l’armée israélienne, alors que nos députés avaient superbement ignoré la centaine de jeunes manifestants Kabyles que les gendarmes algériens venaient d’abattre de sang froid. Autrement, le peuple kabyle souhaite vivement que la paix se fasse entre Israël et ses voisins.
Cependant, si Israël est un véritable bouc émissaire pour les masses arabes, il est aussi un excellent Cheval de Troie pour leurs dictatures en place. En manipulant leur opinion publique à travers la condamnation quotidienne du « sionisme », ces régimes se re-légitiment en permanence et repoussent chez eux, chaque jour un peu plus, l’échéance d’une ouverture démocratique et d’une alternance au pouvoir.
En Algérie, il est courant de faire diversion à l’intérieur du pays en associant Israël à la Kabylie pour légitimer la répression contre celle-ci et contre l’émancipation du peuple kabyle.
En se révoltant en 1980, la Kabylie fut accusée d’avoir été à la solde de l’étranger et du…Mossad. C’est ce genre de dérive qui, petit à petit, a amené l’Algérien moyen à prendre les Kabyles pour de nouveaux Juifs et la Kabylie pour un autre Israël.
Bouc émissaire, Israël l’est aussi pour la France de ces toutes dernières années qui estime qu’il est au service exclusif des Etats-Unis, contre les intérêts de l’Europe en général et de l’Hexagone en particulier. C’est, entre autres, sous cet angle de vue que l’on peut comprendre la relance de la « politique arabe » de la France chiraquienne. Dans ce cas, la Palestine et les Arabes ne seraient, à leur tour, que son cheval de Troie.
En fait, de notre point de vue, Israël et la Palestine sont disposés de manière symétrique sur l’échiquier international. Quand l’un est le bouc émissaire d’un pays, l’autre en est son cheval de Troie et inversement. Dans l’imbroglio des intérêts géopolitiques du monde d’aujourd’hui, on fait toujours, qu’on le veuille ou non, le jeu de quelqu’un d’autre. Tout dépend de quel côté on se place.
Avec les très nombreuses interférences et interactions des acteurs internationaux, il est difficile de se soustraire au statut de coupable idéal. Celui qui parmi ces derniers détient la puissance médiatique sur un territoire donné y désigne l’accusé et prononce la sentence.
Malgré cet Etat de fait, doit-on pour autant renoncer jusqu’à sa propre existence pour ne pas encourir les foudres de guerre de ceux dont on contrarie les desseins et à la volonté desquels on refuse de se plier ?
Pour ne pas être taxé de pion d’un côté ou désigné comme victime expiatoire de l’autre, devrait-on se laisser faire dans un monde où il n’y a pas de place pour les faibles ? Ne devrait-on pas plutôt regarder chaque partie d’un conflit pour ce qu’elle est pour elle-même et non pour les autres, pour ce qu’elle revendique et non pour ce dont on l’accuse ? Il y a certes des « marionnettes » politiques un peu partout, dans chaque pays et à travers le monde entier.
Mais force est de reconnaître que les acteurs qui en acceptent le rôle ne le font que par intérêt, par diversion et rarement sous la contrainte. En vérité, non seulement ils ne se laissent pas faire mais ce sont eux qui manipulent le marionnettiste.
Dans cet ordre d’idées, je pense qu’Israël et la Palestine sont des acteurs majeurs qui n’ont aucunement besoin d’aller prendre leurs ordres chez l’Occident ou chez les pays arabes et/ou islamiques, tout comme la Kabylie qui revendique son autonomie régionale n’est inféodée qu’à sa propre aspiration à vivre dans la dignité, la liberté, la démocratie et la paix.
En réalité, chacun d’entre ces deux acteurs agit en fonction de ses propres intérêts et non en fonction de ceux de ses pseudo tuteurs. Le monde politique gagnerait énormément à se départir de ce réflexe manichéen qui consiste à diaboliser tout adversaire ou tout acteur pour lequel on n’a pas encore prévu de case dans laquelle il serait neutralisé.
Chaque peuple a le droit de vivre sur sa terre et d’être respecté par son environnement dès lors qu’il respecte lui-même celui-ci. C’est de cette façon que le monde deviendra celui de la paix à la place de celui de la guerre, celui de la coopération et du dialogue entre les peuples plutôt que celui des conflits et des égoïsmes, celui de l’ouverture sur les autres au lieu de celui des replis sur soi.
Texte lu par Ferhat MEHENNI à Assemblée Nationale française lors du colloque AFIDORA, le 27/05/2005