Pour tous les lycéens comme moi qui révisent (doucement, c'est vrai), voici un extrait d'un livre que je dois avoir lu pour le bac de francais.
L'extrait m'a énormément impressioné ... (Je suis dans un lycée public)
Silbermann est un jeune enfant juif de 15 ans. Il vit à Paris, en 1905.
Victime d'un antisémitisme violent, il décide de quitter la France.
Il va l'annoncer à son ami du lycée, dont les parents avaient interdit toute relation avec "ce juif".
Lisez bien. Et n'oubliez pas : c'est en 1900.
Songe donc : un Juif de moins auprès d’eux !... On va se réjouir lorsqu’on apprendra cette nouvelle !... Ah ! Les imbéciles ! Croient-ils, parce qu’ils ne me verront plus ici, qu’ils auront un ennemi de moins ? Ne savent-ils pas que c’est pour avoir été rejetée toujours et par tous que notre race s’est fortifiée au cours des siècles ?
Pourquoi cette explosion d’antisémitisme en France ? Pourquoi l’organisation de cette guerre contre nous ? Est-ce un mouvement religieux ? Est-ce le vieux désir de vengeance qui se ranime ? Allons donc ! Votre foi n’est plus si vive ! Non, ce n’est pas si haut qu’il faut chercher les raisons de vos attaques. Je vais te dire quels sont les véritables mobiles qui vous font agir : c’est un bas égoïsme, c’est l’envie la plus vile. Depuis quelques années, il est venu dans votre pays des gens plus subtils, plus hardis, plus tenaces, qui réussissent mieux dans toutes leurs entreprises ; et au lieu de rivaliser avec eux pour le meilleur résultat commun, vous vous liguez contre eux et cherchez à vous en débarrasser. […]
Comment justifiez-vous votre aversion pour le Juif ? Par les traits affreux que la légende lui attribue ? Ils sont tous absurdes. Sa ladrerie, par exemple ? Tiens, regarde plutôt par ici, considère ces maisons. Là est l’hôtel que Henri de Rothsdorf fait construire pour ses collections. Derrière, se trouve celui de Raphaël Léon, qui a fait copier un pavillon de Louis XVI. Ce toit élevé, c’est la maison qui appartient à Gustave Nathan, le plus bel immeuble de Paris, dit-on. A côté de celle ou j’habite, ainsi que les Sacher, les Blumenfeld. Et ainsi de suite … Je pourrais te citer toutes les constructions voisines. C’est une vraie juiverie que ce quartier. Mais elle n’est pas mal, hein ? Nous faisons bien les choses !
Quoi donc encore ? Les juifs sont rapaces ? Est-ce que tout homme qui travaille ne cherche pas à gagner de l’argent ? Ils sont voleurs ? Ah ! Mon ami, si tu connaissais les louches brocanteurs qui viennent proposer à mon père, tu conviendrais que notre façon de nous enrichir dans les affaires est bien honnête.
Il y a, parait-il, l’inconvénient social : nous formons un Etat dans l’Etat ; notre race ne s’assimile pas au milieu ; elle ne se fond jamais dans le caractère d’un pays … Comment en jugez-vous ? Est-ce possible autrement ? Durant des siècles, nous avons vécu parqués comme des troupeaux, sans alliances concevables avec le dehors. Il n’y a pas cent ans que, en certains pays, nous avons cessé de voir les chaînes autour de notre résidence. Veut-on que nos liens héréditaires se dénouent du jour au lendemain ? Et ne comprenez-vous pas que vos dispositions haineuses ne font que les resserrer ? Et puis, est-ce que chacun, dans une même nation et malgré un sang collectif, n’est pas soumis aux courants variés de son hérédité, hérédité de classe, hérédité de religion ?
Mais ce n’est pas tout. Votre grand grief, c’est l’esprit juif, le fameux esprit juif, ce dangereux instinct de jouissance immédiate qui corrompt tout génie, empêche de rien créer qui soit éternel, avilit la pensée ! Or, ne crois-tu pas qu’un peu de cette semence pratique ferait du bien à votre sol ? L’intelligence d’Israël a brillé à travers les âges pour que vous soyez rassurés.
Être Juif et Français, que cette alliance pourrait être féconde ! Compte-nous à travers le monde : sept millions … en France, 80 000… puis vois les places que nous occupons. Ecoute bien ce que je vais te dire : le peuple d’élection, ce n’est pas une divagation de prophète mais une vérité ethnologique qu’il vous faut accepter.
Comprends-tu à présent combien j’ai été outragé ? Et me demandes-tu encore pourquoi je quitte la France sans intention de retour ? Oh ! Je sais, j’aurais pu supporter ces débuts difficiles, m’habituer ou patienter, comme bien d’autres de ma race. Non, ceux-là, je vous les laisse. Vois-tu, chaque pays a les Juifs qu’il mérite … ce n’est pas de moi, c’est de Meternich.
Maintenant, je suis sorti de mes rêves. En Amérique, je vais faire de l’argent. Avec le nom que je porte, j’y étais prédestiné, hein ! … David Silbermann, cela fait mieux sur la plaque d’un marchand de diamants que sur la couverture d’un livre ! Je ne me suis guère préparé jusqu’ici à cette profession, mais mon avenir ne m’inquiète pas ; je saurai me débrouiller. Là bas, je me marierai suivant la pure tradition de mes pères. De quelle nationalité seront mes enfants ? Je n’en sais rien et ne m’en soucie pas. Pour nous, ces patries là ne comptent guère. Où que nous soyons fixés à travers le monde, n’est ce pas toujours en terre étrangère ? Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils seront Juifs. Alors s’ils sont hideux comme moi, s’ils ont une âme aussi tourmentée que la mienne, s’ils souffrent autant que j’ai souffert, n’importe ! Ils sauront se défendre, ils sauront surmonter leurs épreuves. Ils seront soutenus par ces secrets invincibles que nous transmettons de génération en génération, par cette espérance tenace qui nous fait répéter solennellement depuis des siècles : « L’an prochain à Jérusalem ».
Extrait du dernier chapitre de " Silbermann"
De Jacques de Lacretelle.