Désolé c'est long mais révisons un peu notre Chirac.
Edito du Monde - Fracture urbaine
LE MONDE | 07.11.05 | 17h08 • Mis à jour le 07.11.05 | 17h08
Sortant d'un silence de dix jours hormis quelques généralités assénées à ses ministres le 2 novembre , Jacques Chirac a consenti, au soir du dimanche 6 novembre, à parler aux Français. "Le dernier mot doit revenir à la loi", a martelé le président de la République, en faisant du rétablissement de l'ordre public un "préalable" à la poursuite d'une action pour "l'égalité des chances" . Des mots vagues, formulés d'un ton saccadé, qui ont montré que, si la magie de la parole présidentielle a naguère existé, elle n'opère plus. La onzième nuit de violences urbaines qui a suivi dans les cités a livré sa moisson de voitures brûlées 839 avec, de surcroît, des tirs de grenaille contre des policiers. Trente-quatre fonctionnaires de police ont été blessés, dont deux grièvement. L'escalade continue.
Cette explosion de violences dans les banlieues, cette "chienlit urbaine", comme aurait pu dire le général de Gaulle, dressent un implacable constat d'échec des grandes promesses du candidat Chirac qui se promettait, en 1995, de réduire la fracture sociale et, en 2002, d'éradiquer l'insécurité. Le 10 janvier 1995, M. Chirac, alors maire de Paris, publie un livre programme, La France pour tous, qui est un véritable réquisitoire contre un pays qui a laissé se développer la pauvreté, l'exclusion, le chômage, le délabrement des banlieues, en avançant des chiffres qui "en eux-mêmes, n'expriment pas la gravité de la fracture sociale qui menace je pèse mes mots l'unité nationale" . Et le futur président poursuivait : "Dans les banlieues déshéritées règne une terreur molle. Quand trop de jeunes ne voient poindre que le chômage ou des petits stages au terme d'études incertaines, ils finissent par se révolter. Pour l'heure, l'Etat s'efforce de maintenir l'ordre et le traitement social du chômage évite le pire. Mais jusqu'à quand ?"
Le diagnostic de M. Chirac, fondé sur une note de la Fondation Saint-Simon sur "la fracture sociale" , dont l'auteur, Emmanuel Todd, mettait en avant son opposition à l'Europe de Maastricht, était d'une remarquable justesse. Pour guérir cette "France blessée, qui paie par le chômage et l'exclusion la facture de nos conservatismes" , le futur président prescrivait cinq remèdes sous la forme d'engagements : "Redonner à chaque Français sa place et sa chance dans la société, mettre les forces vives de la nation au service de l'emploi, bâtir de véritables solidarités, rendre aux Français la maîtrise de leur destin, garantir l'ordre républicain." Il serait cruel de faire le bilan de chaque engagement, mais en dix ans, qu'il s'agisse de la politique de la ville, de l'intégration ou de l'action contre le chômage, l'Etat a montré son impuissance. Et les cités s'embrasent.
La gauche et la droite portent des responsabilités dans cette déchirure du pacte républicain dans les banlieues. Mais, depuis trois ans, la droite est revenue au pouvoir. Il y a deux ans, le 21 octobre 2003 à Valenciennes, M. Chirac a ressuscité la fracture sociale en évoquant la nécessité de reconquérir les "territoires perdus de la République" . "Ces difficultés, ces drames, cette fracture sociale qui menace de s'élargir en une fracture urbaine, ethnique et parfois même religieuse, ne sont pas des fatalités" , assurait-il. Là encore, le diagnostic était juste et il y a aujourd'hui en France 300 cités sensibles en raison des difficultés d'intégration des jeunes qui connaissent une "fracture urbaine" . Mais M. Chirac n'est plus candidat, il est président. Il n'a plus seulement à diagnostiquer ou à se contenter de donner de tardifs coups de menton sur "la priorité absolue" de l'ordre. Il lui faut agir pour réduire la "fracture urbaine" qu'il a laissé s'élargir.
Article paru dans l'édition du 08.11.05