LE NAZISME, A LA RACINE DES MOUVEMENT NATIONAUX ARABES ET PALESTINIEN
Jean Hoovvey 03 Décembre 2002 Paru dans " La lettre du Collectif Paix et Vérité "
Les campagnes antisémites prennent en ce moment un tour obsessionnel dans les pays arabes. La série égyptienne " Le cavalier sans monture " a vu le jour à partir d'une étude marketing qui insistait sur le caractère particulièrement " vendable " de l'antisémitisme. On dit que les premiers épisodes (la série en compte 41) ont beaucoup déçu le public parce qu'ils tardaient à mettre en scène l'antisémitisme attendu, celui des " Protocoles des Sages de Sion ".
Un tel " terrain " est le produit d'une longue préparation. Pour expliquer l'antisémitisme arabe, on incrimine souvent, et à raison, l'action des criminels nazis qui se réfugièrent, après la débâcle, dans différents pays arabes, comme par exemple Johann Von Leers en Égypte ou Aloïs Brüner en Syrie. Mais il faut remonter bien avant, aux années trente, quand ont émergé en Syrie, en Égypte, en Irak et sous le mandat britannique en Palestine, les premiers mouvements à connotation nationaliste. Ceux-ci ont alors embrassé spontanément le national-socialisme.
A l'époque, les Arabes, qui étaient passés de la domination ottomane aux mandats français et britanniques, étaient en recherche d'une identité nationale. Peut-être du fait de la longue tutelle ottomane, ils manifestèrent tout de suite beaucoup plus d'intérêt pour le modèle allemand, érigé sur la férule de la Prusse, que pour les modèles français ou anglais fondés sur le patriotisme. D'autant plus qu'ils partageaient un fonds commun de judéophobie.
I - DANS LES ANNÉES TRENTE, LE MODÈLE NAZI INSPIRE LES PREMIERS PARTIS ARABES ET PALESTINIENS
En Palestine :
Dès l'arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933, celui qui devait devenir la principale figure de la collaboration avec les nazis, le Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini demandait une audience au consul d'Allemagne. Le journal du parti nazi, Völkischer Beobachter, l'aryanisera d'ailleurs en 1937, en notant que ses yeux bleus et sa barbe rousse témoignaient " des gènes dominants de sa mère circassienne ".(1) Cette première démarche sera suivie de beaucoup d'autres.
En Syrie :
Un des premiers dirigeants du parti Baas en Syrie, Sami al-Jundi, donne une idée de l'atmosphère ambiante dans les années 30 : " Nous étions racistes et pleins d'admiration pour le nazisme…Nous fûmes les premiers à avoir voulu traduire Mein Kampf " (2) Le parti populaire syrien, de Antun Saada, créé au même moment, est aussi appelé "parti national-socialiste syrien". Interdit par les autorités françaises, il exerce néanmoins une grande influence sur la jeunesse, jusqu'au Liban. Plus tard, en 1941, c'est à partir de " la Société d'aide à l'Irak ", animée par deux instituteurs, Michel Aflaq et Salah al-Din, que l'armature du Baas est forgée. Rappelons que le régime irakien de l'époque est pro allemand.
Ces partis syriens sont calqués sur le modèle fasciste. On y trouve des organisations de jeunesse identifiables par leurs chemises colorées, une discipline rigoureuse et le culte du chef.
En Égypte :
En 1933, le fondateur du parti " Jeune Égypte ", Ahmad Husseini est un sympathisant actif des nazis. En 1934, il rend visite à l'ambassadeur d'Allemagne au Caire, en 1936, il envoie une délégation au rassemblement de Nuremberg, et, en 1938, il se rend lui-même en Allemagne où il est chaleureusement accueilli.
" Jeune Égypte " est doté de structures paramilitaires, ses chemises vertes emploient la phraséologie nazie, le salut nazi, les retraites aux flambeaux et harcèlent la communauté juive.
C'est " Jeune Égypte " qui amène à la politique les jeunes officiers qui renverseront le roi Farouk en 1952, notamment Gamal Abdel Nasser et Anouar al-Sadate. Ces derniers sont pétris des convictions nazies de leur parti.
En Irak :
Rashid Ali al-Gaylan, le premier ministre, établit à partir de 1940, avec l'aide du Mufti de Jérusalem, un régime pro allemand qui s'illustrera, au moment de sa chute, par un terrible pogrom en 1941 avec au moins 600 morts, 240 blessés et 900 maisons détruites.
Ces premiers mouvements politiques arabes contemporains partageaient avec l'Allemagne nazie une féroce judéophobie et un conflit national avec l'autorité mandataire britannique. Ils avaient aussi en commun la méconnaissance des droits de l'homme et un fonds culturel autoritaire, en quelque sorte, une inaptitude à la démocratie. Au moment du déclenchement de la seconde guerre mondiale, ils feront naturellement des offres de service aux autorités nazies.
II - LA COLLABORATION ARABE ET PALESTINIENNE AVEC LE NAZISME PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Le Mufti de Jérusalem, qui avait quitté depuis 1939 la Palestine sous autorité anglaise, entreprend en 1941 un voyage en Europe, dans des conditions rocambolesques (il rase sa barbe et se teint les cheveux) pour y rencontrer Hitler et Mussolini. Il désire passer le marché suivant : le soutien arabe aux forces de l'Axe contre " le principe d'un état arabe de type fasciste, unifié, indépendant et souverain, qui comprendrait l'Irak, la Syrie, la Palestine et la Transjordanie ". (3)
Le Mufti rencontre Mussolini le 27 Octobre 1941 et Hitler le 28 Novembre suivant. L'accord se fait rapidement sur l'éradication du Foyer national juif en Palestine. Mais Hitler qui renvoie la "libération des Arabes" à l'arrivée de ses troupes au Sud du Caucase, n'accorde pas tout de suite au Mufti le statut de " Führer de la nation Arabe " que celui-ci demandait.
Pour asseoir sa légitimité auprès de l'Axe, le Mufti déploie alors une activité fébrile : ils se propose de rallier les musulmans de l'Est aux Allemands. Une légion germano-arabe est créée en Grèce. Des unités musulmanes sont intégrées à l'armée allemande et elles feront preuve d'une redoutable efficacité. Une légion de volontaires musulmans incorporés dans la Waffen SS appuie les massacres des Juifs de Ante Palevic en Bosnie et en Herzégovine. Le Mufti est à l'origine de cet enrôlement des musulmans européens sous la bannière nazie, du moins en est-il un précieux facilitateur.
Le Mufti déclare le 11 Novembre 1942 : " …si l'Angleterre et ses alliés sont vaincus, la question juive sera définitivement résolue ". (4)
Il déploie tout autant d'activité auprès des pays de l'aire d'influence de l'Axe (Italie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) pour empêcher l'émigration des Juifs que ces derniers semblaient préférer à l'extermination. Il leur propose en mai et juin 1943 de les envoyer plutôt en Pologne et il note plus tard que ses lettres furent suivies " d'effets utiles et positifs pour la cause palestinienne ". (5) On peut aisément imaginer ce que furent ces " effets positifs ".
Au même moment, les officiers égyptiens observent la situation. Anouar al-Sadate écrit : "Pour l'Angleterre, 1941 fut une année tragique ; pour l'Égypte, une année d'espoir….si la jonction pouvait s'opérer entre les insurgés égyptiens et les troupes de l'Axe, notre guerre de libération nationale prendrait une dimension internationale ".(6). Évoquant cette période beaucoup plus tard, en 1964, Nasser déclarait : "Pendant la guerre, notre sympathie allait aux Allemands " et " Personne ne prend au sérieux le mensonge des six millions de Juifs assassiné". (7) Le second argument, celui d'une négation du génocide des Juifs, est aujourd'hui un des leitmotiv des organes de presse et de l'édition arabes
Le roi Farouk en Égypte, Ibn Saoud en Arabie, Nouri Saïd en Irak solliciteront aussi les nazis malgré la présence du mandataire britannique.
Pendant ce temps, la Brigade juive combattait aux cotés de Montgomery et de Koenig.
III - APRÈS LA GUERRE LA FILIATION NAZIE N'EST PAS RENIÉE
Dès la fin de la guerre, et avant même la création de l'État d'Israël, des flambées de violence anti juives enflamment les principaux pays arabes. Égypte, Syrie, Libye (officiellement 130 morts), Yémen.
Bernard Lewis note qu'après l'effondrement du III° Reich, "avoir un passé pro-nazi était une source de fierté". (8)
La littérature antisémite du Reich donne lieu à de multiples traductions et rééditions. Il s'agit de Le Juif du Talmud de Rohling, Le Juif International de Henry Ford, mais surtout des " Protocoles ".
Le Mufti collaborateur, de retour d'Europe, est accueilli chaleureusement en Égypte qui dispute aux dictatures d'Amérique latine et d'Europe (l'Espagne franquiste) l'accueil des criminels de guerre nazis en fuite. Ainsi Johann Von Leers, spécialiste de la propagande nazie, s'installe au Caire. Il devient conseiller politique auprès du ministère égyptien de l'information.
En 1953, comme la rumeur court selon laquelle Hitler serait encore en vie, Anouar al-Sadate écrit dans un hebdomadaire cairote, al-Musawwar : "Je vous félicite de tout mon cœur : en dépit des apparences, c'est vous le véritable vainqueur…".
Dans les années 60, l'alliance entre les Arabes et l'Union Soviétique, conduit les leaders du Moyen Orient à modérer l'expression de leurs convictions hitlériennes. Ce tabou semble aujourd'hui levé.
IV - L'ACTUELLE VAGUE ANTISÉMITE ARABE
L'antisémitisme arabe au présent n'est nullement spontané. C'est un instrument politique un peu fétide qui permet aux dictatures du monde Arabe de conserver une légitimité et de garder le pouvoir malgré leurs revers dans tous les secteurs du développement culturel, économique et social, comme en atteste le dernier rapport de l'ONU sur le développement humain dans le monde arabe.
Deux sources inspirent les actuelles campagnes antisémites : l'antisémitisme canonique du Coran et des Hadith d'un coté, l'antisémitisme européen de l'autre, le premier étant plus spécifiquement alimenté dans les mosquées et les universités religieuses d'Égypte et d'Arabie Saoudite.
C'est ainsi qu'Hitler revient à la surface, à la fois comme plainte - car il n'a pas terminé le travail - et comme bénédiction - il en a quand même fait un bout-." Il [Hitler] est complètement innocent de ce dont on l'accuse ….. 'Si seulement tu l'avais vraiment fait, frère, si seulement tout cela avait vraiment eu lieu, le monde aurait pu soupirer de soulagement, [enfin délivré] de leur méchanceté et de leurs péchés' " écrit Fatma Abdallah Mahmoud, dans Al-Akhbar (29 avril 2002) ou " Merci, Hitler, bénie soit ta mémoire, d'avoir vengé par avance les Palestiniens, contre les pires criminels du monde " de Ahmad Ragab Al-Akhbar (20 avril 2001). Rappelons que Al-Akhbar est le quotidien gouvernemental en Égypte.
Le nazisme n'a jamais vraiment quitté le Proche Orient. Avec la diffusion des Protocoles des Sages de Sion sur 41 épisodes au moment du Ramadan, dans une adaptation locale relayée par 22 chaînes de télévision, l'Égypte franchit un pas. Le câble et le satellite étendent infiniment la sphère d'influence de cette renaissance du nazisme. Ce n'est plus le Proche Orient, mais le monde entier et les banlieues européennes en particulier qui sont enflammés par la vague raciste. L'opinion publique et les États européens, dont la France, ne sauraient s'en laver les mains. Ce type d'émission fait le lit du radicalisme islamiste et représente une menace évidente pour la sécurité publique et l'intégration de l'immigration dans les pays d'accueil.
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Ce texte est essentiellement une synthèse de certains chapitres de l'ouvrage de Bernard Lewis cités en note 1
(1) Bernard Lewis Sémites et antisémites Fayard p.187
(2) Sami al-Jundi Al-Baath Beyrouth 1969 p.27
(3) Daniel Carpi The Mufti of Jerusalem p.104-105
(4) Ettore Rossi Documenti sull'origine e gli sviluppi della questione araba (1875-1944) Roma p.228-231
(5)Bernard Lewis op. cit. p. 201
(6) Anwar al-Sadat Revolt on the Nile Londres 1957 p. 34-35
(7) Interview à Deutsche Nationalzeitung
(8) op. cit. p.206