PAR FRANCOIS LEOTARD
Paru dans le Figaro, le 5 septembre 2006.
"Monsieur le President,
Franchement, en commencant cette lettre je n'avais pas envie de vous appeler de cette maniere. Ce titre implique en effet un minimum de respect.
Je le fais neanmoins parce que c'est vous qui vous exprimez au nom des Iraniens. Sur les photos, je vous vois devant des foules, des visages, des mains levees. Sans doute peut-on z deviner une forme d'enthousiasme, en tout cas d'adhesion.
Nous avons, en Europe, connu les foules. C'etait un movais moment pour nous. Une periode tragique dont nous continuons a porter la honte et l'angoisse.
L'un des peuples les plus cultives du monde, un peuple qui avait eleve a un haut degre la philosophie, la musique, la poesie, la science, un peuple qui avait etonne ses voisins par son rayonnement avait sombre dans la haine, la folie raciale, l'ignominie.
Des dizaines de millions d'individus ont subi, dans leur chair leur culture, leur dignite, cette etrange barbariequi se voulait un ordre nouveau. Ce furent d'abord les propres ressortissants de cet Etat, des Allemands, puis peu a peu les autres, tous les autres... On appela cette folie une guerre mondiale.
Mais ce fut surtout une guerre contre ce qu'il z avait d'humain en nous. Les livres furent brules, les enfants deportes et assassines, les intelligences brisees. Tout ce qui fut l'honneur de l'homme fut pietine. Et puis...
Et puis j'en viens a vous: une partie de l'espece humaine, le peuple juif, fut destine a l'enfer. Oh, je vous le concede, une petite partie. Ce n'etait ni les plus nombreux, ni les plus riches, ni les plus influents. C'etait des hommes et des femmes qui avaient porte tres longtemps et tres loin leur foi, leurs questions sur le monde, sur D., sur la necessite de vivre ou de souffrir, sur le bonheur d'aimer. Generalement, ils frequentaient les livres. Ils reflechissaient beaucoup, ils ne comprenaient pas pourquoi on ne les aimait pas, pourquoi on les appelait des "sous hommes" des Untermensch, pourquoi on les considerait comme des insectes... Ils furent pourchasses dans toute l'Europe, pendus, fusilles, brules...
Vous savez parfaitement tout cela, mais je l'evoque devant vous pour trois raisons au moins:
- La premiere, c'est que nous (je dis "nous", c'est une facon de parler) n'accepterons pas que ca recommence. Je ne suis pas juif, mais les Juifs sont, comme les Perses mes freres en humanite.
- La seconde, c'est qu'ils ont le droit, comme vous, comme moi d'avoir une patrie. Que ce soit la France ou Israel ne change rien a l'affaire.
- La troisieme raison ne vous plaira pas. Mais tant pis: c'est qu'ils apportent au monde (et probablement c'est cela que vous voulez "rayer de la carte") c'est une conception de l'homme et de son destin qui a enrichiplusieurs siecles de civilisation, et qui fait honneur au peuple juif comme a l'Etat d'Israel.
Monsieur le President, vous avez le droit d'etre nationaliste. Vous avez le droit d'etre fier de l'histoire du peuple perse. Vous avez le droit d'etre croyant et d eprier D. "clement et misericordieux" comme il est dit au debut de chaque sourate du Coran. Vous pensez avoir le droit de voiler les femmes, de torturer les opposants, d'emprisonner les journalistes qui vous contredisent, de condamner a mort des enfants mineurs, de persecuter vos minorites.
Mais vous n'avez pas le droit de porter sur Israel le regard trouble, imbecile et haineux qui accompagne vos discours. Car il me semble que vous haissez dans cet Etat la libre parole, la diversite des partis, le role de l'opposition, l'independance de la justice, la recherche universitaire et sans doute aussi... le courage.
C'est-a-dire tout ce que nous sommes en droit d'admirer.
Les hommes qui ont organise la reunion de Wannsee ou fut decrete l'aneantissement des Juifs d'Europe sont tous morts aujourd'hui. Naturellement, comme chacun d'entre nous, vous suivrez ce destin.
Je souhaite seulement que pour vous-meme, pour le peuple perse, pour les jeunes enfants d'Iran ou d'Israel qui vous suivront, il ne vienne a personne l'envie d'aller cracher sur votre tombe."
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Mes chaleureux remerciements a M. Leotard et au CRIF qui a fait paraitre cette magnifique lettre. Une magnifique reponse aux propos et au comportement du destinataire, mais egalement a tous les antisemites et antisemitismes.