Peut-être la seconde Intifada est-elle arrivée à sa fin? Peut-être le cessez-le-feu dans la bande de Gaza (durement mis à l'épreuve ces derniers jours) se transformera-t-il en un cessez-le-feu mutuel généralisé?
Peut être ?
La première question qui me vient à l’esprit est : qui a vraiment gagné ? Naturellement, de chaque côté on va crier victoire. Les organisations palestiniennes affirmeront que ce sont les Qassam qui ont obligé Israël à accepter un cessez-le-feu. Les Israéliens que c’est l’armée israélienne qui a vaincu le terrorisme et obligé les Palestiniens à arrêter. Alors qui a gagné ? En fait, personne, je crois Le combat s’est terminé par un match nul òù chaque camp devra soigner ses blessures.
L’armée israélienne n’a pas gagné, puisqu’elle n’a pas réussi à mettre fin aux attentats, encore moins à « détruire l’infrastructure du terrorisme ». Ainsi les Qassam et les obus de mortier ont transformé les villes en enfer dans les derniers jours . De surcroît, les palestiniens ont franchi un nouveau pas en entreprenant des attaques plus complexes, de vraies actions de guérilla. La destruction de l’avant-poste militaire sur l’Axe Philadelphie a nécessité de creuser un tunnel en dessous pour le faire exploser et le détruire entièrement. De la même façon, dans l’attentat sur le barrage Karni, la destruction d’un mur par explosifs et des attaques de combattants se sont combinées. Ces actions font penser à celles de l’Irgoun et du groupe Stern dans les dernières années du mandat britannique.
Notre armée n’avait pas de réponse aux actions des Qassam et aux actions de guérilla. N’avons-nous pas tenté quelque chose ? Si. Incursions . Bombardement par des tanks .Démolition de milliers de maisons. . Rien n’y a fait. Il ne resterait que la méthode défendue à la télévision par Israël Katz, un membre du gouvernement : bombarder et tirer des obus sur les villes de la bande de Gaza, ouvrir la frontière égyptienne dans une seule direction et pousser des centaines de milliers d’habitants dans le désert du Sinaï. (C’est ce qu’a fait Moshe Dayan aux villes du canal de Suez pendant la guerre d’usure, à la fin des années 60.) On a dit qu’Ariel Sharon avait lui-même proposé, après l’incident de Karni, le bombardement de villes et villages de la bande de Gaza. Mais aujourd’hui cela n’est pas possible : ni l’opinion gouvernementale des americains, ni l opinion internationale ne l' accepteraient
La vérité est que le Tsahal a échoué. Mais il n’y a raison d’en avoir honte : aucune armée n’a gagné dans les combats de ce genre au cours des cent dernières années. Les Français en Algérie en sont arrivés au même point.Même chose pour les Américains au Vietnam.
Nos généraux, comme tous les généraux qui les ont précédés, ont fait l’incompréhensible erreur de raisonner en termes de guerre classique,une guerre conventionnelle. Une g confrontation entre armées, avec des méthodes élaborées au cours des siècles. La confrontation entre une armée et des forces de guerilla est tout autre chose. Les règles qui la gouvernent ne sont pas enseignées dans les écoles militaires. En fait, l’armée a essayé d’improviser, avec un certain succès. Mais elle ne pouvait pas gagner. Parce que la victoire signifie briser la volonté de résistance de l’adversaire. Et cela ne s’est pas produit.
Alors les organisations combattantes palestiniennes ont-elles gagné ?
Curieusement, ces questions ne sont pas ouvertement posées par les Palestiniens. Tout d’abord, parce que l’idée a été acceptée dans le monde entier que la résistance palestinienne est du « terrorisme » ; et qui oserait affirmer que le terrorisme a gagné ? D’autant plus que les Palestiniens ont commis des atrocités.
De plus, la guerre de propagande entre Israéliens et Palestiniens est une sorte de championnat du monde des victimes. Chaque côté se présente comme l’ultime victime. Chacun publie des images d’enfants morts, de mères en larmes, de maisons détruites.
C’est pour cela que les porte-parole palestiniens ne louent pas les combats de leurs compatriotes. Ils évitent de mettre en avant , les centaines de chefs militaires qui ont été liquidés et remplacés aussitôt, pour être liquidés de nouveau et remplacés encore, ainsi de suite. Sur cela, des livres seront écrits, des chants seront composés, des histoires seront racontées, pour les générations futures.
Autre chose : la société palestinienne n’a pas été brisée. Les chars israéliens parcourent leurs rues, des centaines de barrages empêchent le déplacement d’un village à l’autre, l’économie est anéantie, la plupart des hommes sont au chômage, des centaines de milliers d’enfants souffrent de malnutrition. Et malgré cela, miraculeusement, la société palestinienne continue de fonctionner envers et contre tout, la vie continue, la fatigue et l’épuisement n’en sont pas venus à bout.
Cela signifie-t-il que la partie palestinienne a gagné ? Les terroristes peuvent prétendre que Sharon n’aurait pas parlé du retrait de la bande de Gaza et de l’évacuation des colonies de cette bande s’il n’y avait pas eu d’attentats. C’est certainement vrai. Mais Sharon n’a pas encore commencé à envisager de quitter la Cisjordanie. Au contraire, l’activité de colonisation atteint de nouveaux sommets et l’accaparement de terres est en plein essor à l’ombre de la « barrière de séparation ». On ne peut pas appeler cela une victoire palestinienne.
Tout ceci montre qu’on est dans une impasse. L’armée israélienne sait qu’elle ne peut pas vaincre les Palestiniens par des moyens militaires. Les Palestiniens savent qu’ils ne peuvent pas se débarrasser des israéliens par des moyens militaires.
Pour les Palestiniens un match nul est une énorme réussite. L’inégalité entre les deux parties est immense. Si on ne prend en compte que la puissance des armes et l’importance des forces, sans considération des facteurs moraux, la supériorité israélienne est astronomique. Nous devrions l’admettre sans hésitation. Il n’est pas judicieux de présenter les Palestiniens comme s’ils étaient battus et brisés. Non seulement parce que c’est faux mais aussi parce que c’est dangereux. Les fanfaronnades des extremistes juifs religieux demeurent au mieux stupides , au pire elles visent à provoquer les Palestiniens pour les pousser à de nouvelles violences (ou à des actes de folie). La victoire égyptienne au début de la guerre de 1973 a créé les conditions pour Anouar el Sadate de faire la paix avec Israël. Le sentiment de fierté des Palestiniens de rester fermes sur leurs objectifs peut leur rendre plus acceptable une paix . .
Aujourd’hui, les deux parties sont épuisées. La souffrance palestinienne est manifeste. La souffrance israélienne est moins évidente mais cependant réelle. Le coût de cette guerre s’élève à des dizaines de milliards, des centaines de milliers d’Israéliens se trouvent au-dessous du seuil de pauvreté, les services sociaux le confirment.Et, plus important : pendant l’Intifada, environ 5000 personnes humaines ont perdu la vie.
Voilà l’arrière-plan des récents événements. Les deux parties ont besoin du cessez-le-feu. Mais un cessez-le-feu n’est qu’un intermède, pas la paix elle-même. Si la sagesse prévaut en Israël (puisque c’est la partie la plus forte), des négociations pour un règlement final commenceront , l’issue globale étant convenue d’avance : un Etat palestinien sur un certain territoire . Si la sagesse ne prévaut pas (et en politique la victoire de la sagesse serait quelque chose d’inédit), ce cessez-le-feu se terminera comme beaucoup d’autres : juste un intervalle entre deux périodes de combat. Pu de nouveau une nouvelle Intifada.
Nous sommes devant des panneaux routiers indiquant deux directions opposées : l’une directement vers la paix, l’autre vers la prochaine confrontation violente.
A vous de choisir ? et d y contribuer soit vers une paix ? ou d y contribuer vers la prochaine confrontation ? justifier votre choix.