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Certains de ses conseillers ne voulaient pas qu'il en parle, de peur de provoquer un tollé. Il a passé outre, et la polémique a éclaté. Car il le voulait. Le président de la République a indiqué mercredi 25 juin que c'est lui qui nommerait à l'avenir le président de France Télévisions en conseil des ministres. "Je vais prendre mes responsabilités", a annoncé M. Sarkozy en recevant le rapport de Jean-François Copé sur la réforme de la télévision publique. "Je ne vois pas pourquoi l'actionnaire principal de France Télévisions, en l'occurrence l'Etat, ne nommerait pas son président", a-t-il dit, en faisant référence aux entreprises publiques comme EDF, la SNCF ou la RATP. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), censé nommer le président de France Télévisions hors de toute pression politique, n'aurait plus qu'un rôle de validation. "Le CSA donnera bien sûr son avis" et cette nomination sera validée "sous réserve qu'une majorité qualifiée de parlementaires n'y fasse pas obstacle. Voilà un système démocratique où on comprend qui fait quoi et comment", a précisé M. Sarkozy.
"Nous sommes en démocrature", a réagi le sénateur communiste Jack Ralite, membre démissionnaire de la commission Copé. Pour le député socialiste Arnaud Montebourg, "c'est l'organisation méthodique d'une stratégie propagandiste de contrôle des médias. C'est du Berlusconi de petit calibre". Mêmes reproches chez François Bayrou : "Le service public devient directement dépendant de l'Etat, son patron va être nommé par le pouvoir, et ses financements dépendront chaque année du bon vouloir des gouvernants", a estimé le président du MoDem.
Les conseillers de l'Elysée décryptent l'initiative du président. "Il trouve que le système est malsain. Il n'y a aucune raison que ce ne soit pas l'exécutif qui prenne ses responsabilités", estime Henri Guaino, conseiller spécial de M. Sarkozy, qui critique un jeu d'influence hypocrite : "Quand l'exécutif ne veut pas du président de France Télévisions, il faut faire la guerre pour le déstabiliser", poursuit M. Guaino, qui estime que les autorités administratives indépendantes sont "contraires à l'esprit républicain". "Je suis l'actionnaire, je désigne le chef : c'est du Sarko pur jus", commente un autre conseiller. Le président reproche au CSA sa procédure de nomination, fondée sur des auditions, qui "conduit à sélectionner des orateurs sur leur panache et pas forcément de très bons gestionnaires". Les candidats sont accusés de courtiser de manière malsaine les membres du CSA.
Un visiteur du soir estime que le système de désignation publique empêche toute candidature extérieure, restreignant le choix du président de France Télévisions à des "fonctionnaires ou des chômeurs". Et d'ajouter : "La composition du CSA n'a cessé de se dégrader. On ne peut pas confier à des seconds couteaux une décision d'une telle importance".
L'initiative intervient dans un contexte plus vaste de recomposition, à la main de M. Sarkozy, de l'audiovisuel public. France Télévisions a été chamboulé par l'annonce, le 8 janvier, de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. L'entreprise craint d'être étranglée par une double tutelle : politique via la nomination de son président, et budgétaire, par la perte de la publicité. "Plus que jamais, la réforme prétendument historique de l'audiovisuel public n'est là que pour masquer les multiples cadeaux faits récemment aux chaînes privées", tels que le projet d'augmenter le volume publicitaire sur leurs antennes, accusent les parlementaires socialistes, qui avaient quitté la commission Copé mi-juin.
Depuis longtemps, M. Sarkozy ne cache pas le mal qu'il pense de la télévision publique. "A France Télévisions, je dis : vous êtes nuls, je veux en prime time une pièce de théâtre, un opéra, et tant pis si cela ne fait pas d'audience", expliquait-il en privé fin 2007, ajoutant qu'il voulait "une émission littéraire, une vraie".
Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, reçu par le président de la République juste avant la remise du rapport, a néanmoins estimé que M. Sarkozy "l'avait conforté" dans sa stratégie et qu'il avait noté "avec satisfaction" le soutien du chef de l'Etat au "virage éditorial" engagé pour France Télévisions. Son entourage se déclare quelque peu "inquiet" de la réforme du mode de nomination mais se rassure en estimant qu'elle ne s'appliquera pas à l'équipe dirigeante nommée jusqu'en 2010. M. Guaino estime toutefois qu'une nouvelle nomination aura lieu après l'adoption de la loi. L'Elysée indique que la loi précisera si le président terminera son mandat ou non. La procédure vaudra aussi pour le président de Radio France. Pour Hervé Bourges, ancien président de France Télévisions puis du CSA, cette décision "est un retour en arrière". Selon lui, "le Conseil Constitutionnel jugera non conforme tout retour en arrière en matière de liberté fondamentale et donc de liberté d'informer".
Arnaud Leparmentier, Daniel Psenny et Patrick Roger