" C ", soldat de Tsahal, raconte son " excitation " de tankiste à Gaza
témoignage " J'étais le premier à vouloir détruire des maisons. Je n'aimais pas tirer sur rien "
Le jeune homme ne sait pas combien de Palestiniens il a tué. Juste une fois, il a vu un homme tomber. Tankiste dans une unité combattante de l'armée israélienne de novembre 2000 à novembre 2003, " C" a aujourd'hui 22 ans, peu de regrets et une fascination intacte pour la chose militaire. Il a accepté de parler de son expérience durant l'Intifada à la demande de l'association Rompre le silence, qui regroupe des soldats israéliens, récemment démobilisés, désireux de porter sur la place publique les exactions ou les dérapages de l'armée dans les territoires palestiniens depuis quatre ans. " C" tient à rester anonyme.
" Pendant trois ans, j'ai aimé ce que je faisais. A Gaza, j'étais le premier à vouloir détruire des maisons. Je n'aimais pas tirer sur rien, mais tirer sur des maisons ou sur des gens, ça oui, c'était excitant", raconte-t-il. Sous ses yeux, l'un de ses camarades a été tué d'une balle dans la tête. " Le soir, avec les copains, on causait deux minutes de ce qu'on avait fait dans la journée, du style "Alors, t'en as eu combien, aujourd'hui ? ; mais on parlait surtout de sport ou de ce qui se passait dans le pays", poursuit-il. A aucun moment, durant ces trois années, " C" ne s'est posé la moindre question. " La culture du silence, dans l'armée, est très forte, explique Avishaï, l'un des membres de Rompre le silence : quand on est à l'intérieur, il est quasiment impossible de se regarder dans le miroir. On nous demande juste d'être des "professionnels, de ne pas penser, de ne rien ressentir." Aujourd'hui, à force de discussions avec les jeunes soldats de Rompre le silence, " C" réalise que " certaines choses n'étaient pas bien" : " tirer pour rien sur des maisons" ou " boucler tous les territoires alors que l'on sait que, dans certains coins, il n'y a jamais eu de problèmes", reconnaît-il. " Mais, s'empresse-t-il d'ajouter, l'armée israélienne n'est pas pire que les autres et il ne faut pas oublier qu'il y a les attentats -palestiniens-". Loin d'être un " refuznik" ou un pacifiste, dont la parole porte peu en Israël, " C" se situe plutôt à droite. " Pourtant, même quelqu'un comme lui commence à trouver que le prix moral et humain que l'occupation fait payer à la société israélienne est trop élevé", relève Yehouda, l'un des initiateurs de Rompre le silence. " Il faudrait discuter de ces choses pendant la période de formation, suggère " C", et apporter une aide psychologique aux soldats après les opérations : tuer quelqu'un, ça laisse forcément des traces."
Mais le but de l'association n'est pas de faire des jeunes soldats comme " C" des boucs émissaires. Par les témoignages qu'elle rassemble - environ 300 depuis un an - l'association veut surtout pointer la responsabilité collective de l'armée. Elle a récemment fourni au quotidien israélien Maariv les témoignages de soldats ayant participé à une " expédition punitive", ordonnée en février 2002, après la mort de six soldats. La mission était claire, selon les soldats sur place : tuer six policiers palestiniens pour venger leurs camarades. L'opération-commando a provoqué la mort d'au moins trois policiers, pour la plupart non armés. " Cette attaque révèle la corruption morale de l'armée tout entière, car les ordres sont venus d'en haut", assure Avishaï.
" FAIRE PEUR AUX GENS"
L'association dénonce aussi l'absence de transparence sur les " règles d'engagement" - permettant d'ouvrir le feu - durant cette Intifada. " A Gaza, on nous disait : "Vous tirez sur tout ce qui bouge à proximité de la clôture, même si la personne n'est pas armée", témoigne " C", avant d'ajouter : " A Ramallah, on m'a dit : "La nuit, toutes les deux heures, tu tires pour faire peur aux gens. Alors, on tirait sur des maisons. Une fois, j'ai tiré sur des citernes d'eau, par jeu. C'est la seule chose que je regrette". " Ailleurs, l'ordre était de tirer sur toute personne présente sur un balcon ou une terrasse", assure Avishaï.
" C" est impatient d'être appelé de nouveau pour ses périodes de réserve. " Et si l'on me donne à nouveau l'ordre de tirer sur une personne non armée, je crois que je le ferai. Je n'oserai jamais dire à un officier : "Tu crois que c'est bien ? ; même si, maintenant, je me pose la question", conclut-il.
Stéphanie Le Bars
Article tiré du journal Le Monde (23 juin 2005)