Langue. Pratiqué par 11 millions de juifs avant la Shoah, le yiddish n'est plus parlé que par 1 à 3 millions de personnes. Son entrée dans les universités devrait lui donner ses lettres de noblesse.
Ariane singer
Parlé par 11 millions de juifs avant la Shoah, le yiddish, langue juive laïque d'Europe de l'Est (contrairement à l'hébreu), n'est plus pratiqué que par 1 à 3 millions de locuteurs dans le monde, essentiellement aux Etats-Unis et en ex-URSS. Mais, tandis que s'éteignent l'un après l'autre ceux dont il est la langue maternelle, un nombre croissant de quadras et de trentenaires font de sa sauvegarde une véritable mission, tel Binyumen Shaechter, l'organisateur de la Yiddish Vokh, la trentaine, venu avec femme et enfants, tous parfaitement bilingues. Parmi les participants, certains ont poussé loin l'amour de la langue. Sender et Naomi Botwinik, 37 et 38 ans, se sont rencontrés au camp en août 1993. « J'ai demandé sa main en yiddish », raconte Sender en souriant. Tous deux ont fait le choix de parler exclusivement yiddish à leurs deux enfants. Toviah, 6 ans, et Dina, 3 ans, connaissent effectivement à peine quelques mots d'anglais.
A l'université Columbia (New York), le nombre d'inscrits en premier cycle a triplé en quelques années. Longtemps boudé par les universités pour son absence de véritable statut, et désormais enseigné dans une cinquantaine d'institutions à travers le monde, le yiddish vient tout juste de trouver sa place à la Sorbonne. Depuis sa création, il y a trois ans, le cours affiche complet. Delphine Bechtel, seul maître de conférences chargé de la discipline à Paris-IV, explique : « Le traumatisme de la Shoah est passé. On peut enfin reparler de ce qui s'est passé avant. Cela se traduit par une grande volonté de connaître l'ensemble du patrimoine culturel yiddish. » Même constat au centre Medem de Paris, dont la bibliothèque constitue le plus grand fonds littéraire yiddish d'Europe : chaque année, ce sont désormais quelque 160 étudiants de 18 à 90 ans qui viennent s'initier à la Mame loshn (langue de maman). Parmi eux, beaucoup de juifs non religieux, pour qui l'identité juive ne passe pas nécessairement par la pratique cultuelle ni par l'attachement à Israël. « J'ai été élevée dans un milieu complètement laïque, témoigne Annabel Abramovicz, 27 ans, étudiante depuis trois ans. Je suis française, de père français, je pense en français. Apprendre le yiddish m'a permis d'exprimer ma différence culturelle sans heurter ma foi première en ma nationalité. Une partie de moi qu'il serait ridicule d'exprimer à travers des rites, puisque je ne suis pas croyante. »
Il y a sept ans, Gilles Rozier, 38 ans, auteur d'une thèse de littérature yiddish, a repris les rênes de la bibliothèque Medem avec un objectif : faire sortir le yiddish de ses étagères poussiéreuses. C'est également pour faire connaître au plus grand nombre le monde ashkénaze qu'il prépare l'ouverture, en 2003, de la Maison de la culture yiddish dans un hôtel particulier du 9e arrondissement cédé par la Mairie de Paris
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